« La clé, c’est l’écoute et le temps… » Psychologue, investie dans l’accompagnement de proches aidants depuis 2014, Melody Bonny écoute et prend le temps. Elle est partie de son expérience pour proposer depuis 2018 sur le boulonnais, au sein d’une plateforme territoriale d’aide aux aidants, un dispositif de suivi psycho-social individuel à destination des proches aidants. Elle nous apporte un éclairage sur ce parent, ce conjoint, cet enfant, qui accompagne leur proche dans un « élan naturel », sans avoir le sentiment d’endosser un rôle ou une responsabilité…

« Aidant, c’est un mot que je n’aime pas, qui réduit la personne à ce rôle, alors même que cette personne doit continuer à exister pour elle-même, à côté de ce rôle qui consiste à apporter son concours à un proche, à l’accompagner. A trop mettre ce terme en avant, le risque est d’effacer la diversité des personnes et la singularité de chaque situation de vie. » De quoi et de qui parle-t-on finalement ? S’ils sont entre 8 et 11 millions, c’est bien le caractère informel de cette aide, apportée de manières très diverses, qui les rend si difficiles à toucher. « C’est un peu un mot concept proposé par la société mais, en les nommant, un coup de projecteur a été mis sur les difficultés, et la souffrance parfois, de ces personnes et des professionnels qui gravitent autour d’eux. » 

Un rôle surinvesti…

Melody constate que si l’entourage au sens large perçoit cette mobilisation autour des aidants, c’est encore trop rarement le cas de l’aidant lui-même.« J’entends souvent « je ne me suis pas posé de questions, je devais le faire » … Pour beaucoup, c’est un devoir que d’aider, qui répond à une injonction familiale, au travers d’une histoire personnelle et de relations spécifiques, mais aussi culturelle parce qu’il est de coutume de s’occuper des siens. » On n’a jamais autant parlé des aidants, et pourtant, ils ne sont pas davantage prêts à se dire aidants, un paradoxe sur lequel Melody insiste. « Les personnes concernées continent à ne pas vouloir en parler. Ils veulent se débrouiller et nombreux sont convaincus qu’ils vont y arriver par eux-mêmes, seuls. » Avec trop souvent comme conséquences des maladresses bien involontaires et des situations d’épuisement et d’isolement, constatées par les médecins, et révélées aussi par la crise sanitaire. « Trop d’entre eux surinvestissent ce rôle pour pallier la perte d’autonomie de leur proche. Ce surinvestissement est particulièrement dommageable et risqué pour les personnes âgées qui entrent doucement dans cet accompagnement de la perte d’autonomie, s’y habituent et appellent à l’aide quand la dépendance du proche est déjà bien installée, lourde à assumer et de nombreuses habitudes prises. » Dans le cas d’un accident, d’une maladie, l’irruption est plus brutale et peut porter à mettre en place un accompagnement et des aides sans tarder, au début du parcours de soins, ce qui est une bonne chose. Les aidants qui viennent spontanément vers un groupe de parole, ou pour un suivi individuel, ont besoin de dire leurs difficultés au quotidien et le poids ressenti sur leurs épaules. Ils sont dans un besoin d’exprimer un trop c’est trop et la démarche vient d’eux. Melody le précise : « faire de la prévention n’est pas évident, l’histoire familiale peut bloquer à la fois l’écoute et la compréhension de la situation ». Et à ce stade l’aidant pense vraiment y arriver par lui-même…

« Et moi, dans tout ça… »

En tant que psychologue, le rôle de Melody auprès des aidants est de bien les entendre, de faciliter l’expression en accompagnant leur parole, de délier un peu le nœud des difficultés, d’éclairer l’ambivalence des sentiments et d’envisager d’autres réponses… « Je rencontre majoritairement des femmes. Souvent la relation entre l’aidant et l’aider est forte, elle s’est quelque part comme rigidifiée avec le temps.

Mon travail s’effectue avec la personne et nous cherchons ensemble, entre autres, comment assouplir ce qui s’est figé dans la relation.  Bien sûr, c’est aussi faire le lien avec les parties prenantes et partenaires de la plateforme territoriale d’aide aux aidants. » Les questions des aidants les plus communes sont simples et essentielles : « je communique comment avec mon proche ?», « je peux plus, je fais plus que ça !», « et moi dans tout ça ?» … Et Melody est là pour rebondir, interpeller, sans jamais court-circuiter la parole : « et oui et vous ? Dites-moi» … « Je prends l’aidant où il est, à son rythme. Je n’ai pas d’attente, je laisse venir, sortir… Il faut écouter ce que les gens ont à nous dire, il y a quelque chose qui se joue entre les professionnels, les « supposés sachants » et la personne qui fait juste son devoir. La clé, c’est l’écoute et le temps. Ne pas arriver avec des phrases toutes faites. Il y a des détours à faire et je prends les chemins de traverse nécessaires avec la personne. »

A l’écoute du petit déclic…

Lorsqu’elle rencontre pour la première fois des personnes orientées par des partenaires du secteur médico-social, elle entend de temps à autre des aidants lui dire « mais je ne sais même pas ce que vous faites là, Madame », comme si le fait de leur proposer un espace pour entendre quelque chose de leur quotidien d’aidant, de leur souffrance ou de l’amour pour leur proche, était inattendu et déroutant au départ… Quand la personne n’existe plus qu’à travers la relation d’aide, c’est qu’elle s’est oubliée en chemin. Pour l’aider à prendre un peu de recul, à faire un pas de côté, découvrir ce qu’elle aime encore faire, ce qui peut lui procurer du plaisir, c’est un patient travail d’écoute. « Il peut se passer des mois avant qu’une personne me confie « je peux passer des heures dans ma cuisine, j’y prends du plaisir » et que je puisse aller à sa rencontre, « ah, ça vous fait plaisir… et que pourriez-vous me dire de ce plaisir… ». Trouver la personne à l’intérieur, cachée par l’aidant fatigué, la personne qui aime écrire, chanter, jardiner, voir la mer… trouver ce qui fait encore briller l’œil. Quand Melody arrive à ce petit déclic pour mettre éventuellement la personne en mouvement, « c’est assez magique », confie-t-elle… Et c’est une question d’écoute et de temps.

Propos recueillis par N. Cuvelier

Pour mieux comprendre les émotions des proches aidants et des soignants, nous vous recommandons le livre d’Hélène Viennet, “A l’écoute des proches aidants”, aux éditions Seli Arslan. En savoir plus…
Vous pouvez aussi l’écouter ici…
Lien vers l’annuaire des plateformes d’accompagnement et de répit des Hauts-de-France :
https://www.soutenirlesaidants.fr/annuaire-plateforme/
Lien vers le site d’information et de ressources du Département du Pas-de-Calais :
https://wikisol62.pasdecalais.fr/jcms/j_6/accueil
Café des aidants sur le boulonnais : information au 06 51 22 50 06 ou en écrivant à cafedesaidantsboulonnais@gmail.com
Maison des aidants de Boulogne-sur-Mer : information au 03 91 18 68 28
Se renseigner sur le suivi psycho-social individuel, accompagnement individuel, gratuit, au domicile ou à proximité du domicile, en visiophonie ou par téléphone : mbonnypsychologue@gmail.com
Découvrir aussi « Avec Nos Proches », une ligne téléphonique d’écoute, de partage d’expériences et d’information entre aidants. Lire l’interview d’Alice Steenhouwer, directrice d’Avec Nos Porches.