Après la seconde guerre mondiale, la Chartreuse est, comme au début du siècle, la propriété de l’association de la “Société de l’Hôpital Cantonal de Campagne”.
Après les périodes troubles de guerre, la Chartreuse devient en 1946 l’Hospice de Neuville.
C’est un hospice public attaché administrativement à la clinique chirurgicale de Campagne les Hesdin, siège de l’hôpital créé par Victor Morel. L’abbaye de Valloires est aussi une annexe de l’hôpital.
Les particularités architecturales influencent le fonctionnement de l’Hospice qui tire avantage de tout ce que peut offrir le site : La Chartreuse fonctionne comme lors de la période belge, comme un petit village, même si la configuration de l’hôpital évolue au fil des lois et des normes qui réglementent le domaine hospitalier.
En 1952, la Chartreuse compte jusque 481 lits. En réalité seulement 190 pensionnaires vivent sur place. Ce sont en majorité des vieillards et des infirmes, n’ayant plus de famille pour la plupart, ou venus de l’asile psychiatrique de Saint Venant (arrondissement de Béthune) où les places se font rares depuis l’ouverture d’une école pour enfants handicapés.
Dès cette époque, il faut envisager l’augmentation de la capacité d’accueil.
Les premiers aménagements sont apportés entre 1950 et 1955 : la cuisine et la buanderie sont modernisées.
Cependant, un journaliste local, M.Leroy, soulève auprès de la Direction Départementale de la Population un souci de taille : l’insalubrité du bâtiment.
Dans des articles de presse ou des courriers , il n’hésite pas à affirmer que le bâtiment ne convient pas à une activité hospitalière, que l’hôpital ne peut entretenir l’aura artistique de la Chartreuse et que le bâtiment devrait être de nouveau cédé à l’ordre des Chartreux.
La question se pose alors au préfet :
- doit-il investir des capitaux dans le site pour le rénover ?
- ou doit-il se soumettre à des questions confessionnelles et politiques ?
Finalement, il n’est pas possible de fermer l’hôpital car les hospices des environs n’offrent pas la capacité d’accueil pour absorber les pensionnaires de la Chartreuse (300 personnes dont 37 enfants, 123 hommes et 134 femmes).
Au cours de l’année 1958, de nouveaux aménagements sont apportés avec la réfection d’une salle d’accueil pour les familles, l’installation de douches et aussi la réfection d’un bâtiment isolé dans le parc de la Chartreuse, la Prairie.
Ce modeste pavillon situé idéalement près des bois, est réservé aux jeunes de la Chartreuse, avec une capacité de 25 lits. Le ministre de la population déclare que le bâtiment devrait « être gai, peint aux couleurs claires, si possible décoré pour éveiller l’esprit des enfants ».
L’hospice de la Chartreuse n’était à l’origine destiné qu’à accueillir des vieillards ainsi que des malades chroniques incurables. Mais l’habitude est prise dans le département de diriger vers la Chartreuse les pensionnaires aux caractères difficiles, les petits délinquants, les instables. On évoque alors le fait de reconnaître la Chartreuse comme un “établissement psychiatrique”, afin de légitimer le décongestionnement des hôpitaux psychiatrique vers l’établissement. Mais cela ne sera jamais fait.
Peu à peu, les pensionnaires qui arrivent à la Chartreuse sont des personnes plus valides, de tous âges et de tous les départements limitrophes.
Le nombre de patients étant toujours plus important, le nouveau directeur lance un plan de recrutement. Le personnel qui ne compte en 1950 qu’une vingtaine de personnes pour 300 pensionnaires, passe à 210 pour 400 pensionnaires dans les années 60.
Jusqu’en 1998, l’hôpital comptera un maximum de 500 pensionnaires.
Le site influence donc le fonctionnement de l’hôpital.
L’isolement est très marqué. Un jeune patient qui y a grandi, décrit la chartreuse comme une “bulle” et se rappelle le saisissement qui a été le sien lorsqu’il a du déménager “à l’extérieur”. Il s’est aperçu alors de l’agressivité de l’environnement extérieur et de la dureté des relations avec ceux qui n’habitaient pas la Chartreuse.
L’enceinte et le porche d’entrée marque la limite de l’institution, et beaucoup la pensent infranchissable.
Cet isolement est rompu lors des sorties accordées aux patients une fois ou deux par semaine. “Les Chartreux” comme on les appelle dans le territoire se rendent le plus souvent à Montreuil où ils peuvent dépenser leur pécule.
Cet isolement est également rompu occasionnellement lors des matchs de foot (l’hôpital possèdant sa propre équipe), lors des kermesses où on ouvre les portes de la Chartreuse aux habitants des environs et où les pensionnaires peuvent exposer des objets qu’ils ont fabriqué. D’autres occasions encore permettent une sortie du vase-clos comme des excursions au ski, à la piscine, à la mer… financées par les fonds collectés lors des kermesses.
Ces dernières activités ont pu se développer grâce aux lois sur “l’humanisation des hôpitaux” et la volonté des membres du personnel qui se sont battus pour responsabiliser les patients et permettre des activités extérieures.
Certains membres du personnel suivent une formation pour devenir Aide Médico-Psychologique car la plupart ont été engagés sans qualification spécifique.
La possibilité de vivre d’une manière individuelle et collective influence la répartition des services et des logements pour les membres du personnel. Les employés qui résident sur place se voient affecter “un pavillon” (ermitage des pères) et peuvent y vivre avec leur famille. Si un couple se fonde parmi les patients, il peut également bénéficier d’un pavillon qu’il aménage à son aise. Dans les ailes (comme celles de la cour d’honneur ou de l’imprimerie) sont aménagés des dortoirs séparés pour les hommes et les femmes.
Ensemble, soignants et patients, constituent une grande famille, un village où chacun se connait.
Malgré le recrutement, le manque de personnel se fait toujours sentir.
Émerge alors l’idée pour palier ce manque de faire participer les patients, comme ils le peuvent et comme ils le souhaitent, à la vie quotidienne de l’hôpital. De nombreuses activités sont déléguées aux patients : faire les lits, donner à manger aux enfants et aux grabataires, nettoyer et entretenir les parties communes, les couloirs, les dortoirs, faire la toilette et aider à l’habillage de certains pensionnaires, participer aux cuisines, à la lingerie, à la menuiserie, cultiver les terres…
En échange de ce “travail”, les patients reçoivent un “pécule”.
Au delà de la réelle reconnaissance du travail effectué et du sentiment d’utilité que cela apporte aux résidents, c’est un statut de membre à part entière d’une communauté, d’une société, que les patients reçoivent, c’est la dignité d’une place dans le monde.
La culture des terres à la Chartreuse, comme toujours, permet une relative auto-suffisance alimentaire.
Le jardinier dirige une petite équipe de patients qui cultivent légumes, fruits et fleurs. Une partie de la viande est, elle aussi, produite sur place avec l’élevage de cochons nourris avec les déchets alimentaires de l’hôpital de la Chartreuse (et aussi ceux de l’Hôtel Dieu de Montreuil-sur-mer qui n’avait plus l’autorisation d’avoir de cochons en ville). Le boucher tue un ou plusieurs cochons par semaine car “ils mangent bien !”.
En plus de la production alimentaire, l’autarcie est aussi possible grâce aux différents corps de métier ou activités, boucher, cordonnier, coiffeur, maçon, peintre, cinéma…, qui en outre concourent à cet esprit de “village”.
En 1980, le Centre Hospitalier de l’Arrondissement de Montreuil, le CHAM, est créé.
Un nouvel hôpital est bâti à Rang du Fliers et les patients de la Chartreuse sont redirigés progressivement vers des centres adaptés à leurs pathologies. Beaucoup regrettent alors et regrettent encore la vie à la chartreuse.
Chaque année depuis 2010, lors de la “journée du CHAM”, ces anciens résidents reviennent passer une journée dans leur ancien “village”.
C’est pour eux l’occasion d’échanger des souvenirs et pour nous de récolter cette précieuse mémoire.