Pour les Chartreux, le livre est “un aliment perpétuel pour l’âme”.
Dans les “Coutumes” (1127), Guigues, cinquième Prieur Général de l’Ordre, énumère précisément le matériel que chacun des Pères doit avoir en sa possession : “une écritoire, des plumes, de la craie, deux pierres ponce, deux encriers, un canif, deux rasoirs pour racler les parchemins, un poinçon, une alêne, un fil à plomb, une règle, une pièce de bois pour régler la page, des tablettes”.
À Neuville-sous-Montreuil, dès le premier monastère (1324-1789), les moines installent une activité autour de cet élément essentiel à leur vie.
En cellule ou au scriptorium, le travail principal des pères, les moines érémitiques, est la copie et la correction des ouvrages, quelqu’en soit le sujet ou la langue.
Les Chartreux possèdent leur propre liturgie, ils ne peuvent donc utiliser les livres généraux qui conviennent aux autres ordres.
Or, durant la Restauration, les besoins de l’ordre cartusien en matière d’ouvrages liturgiques augmentent d’une manière exponentielle car il faut réimprimer tous les livres brûlés, dispersés ou détruits durant la révolution française.
Face à ce besoin impératif, la Chartreuse de Neuville se dote d’une imprimerie dès 1875.
Elle est d’abord installée au rez-de-chaussée de la cour d’honneur.
Le 22 Août 1885, Dom Léonard Gorse est élu prieur. Grâce à lui, l’imprimerie de la chartreuse de Notre-Dame des Prés connait une expansion sans précédent.
Cette même année, un nouveau corps de bâtiment est construit en parallèle à l’aile Nord. Il mesure 35 mètres de longueur sur 3 niveaux. Au rez-de-chaussée, se trouvent 7 machines : 2 presses à « rotation » pour le format « double raisin », 2 presses à « blanc » pour le format « jésus », 1 presse à main pour le format « colombier », 2 presses à pédales.
Au premier étage se trouve le magasin de composition où sont stockées les nombreuses casses qui renferment les caractères typographiques.
Au dernier étage se trouvent des ateliers de composition, de séchage et de pliage. Un autre bâtiment est édifié, plus haut sur la colline, réservé à la phototypie (impression de photos). Il se compose d’un atelier de photographie, d’une salle de pose, d’un laboratoire, d’une chambre chimique et de 3 presses d’impression.
Nonobstant les 15 imprimeries déjà présentes dans l’ordre, celle de Neuville devient officiellement l’Imprimerie Générale pour les Chartreuses du monde entier.
Dirigé par le frère Ernest Duquat, Les livres de la Chartreuse de Neuville, se démarquent par leur pureté et leur finition.
Il faut alors employer près de 45 ouvriers civils en plus des frères, pour répondre à la demande toujours grandissante. Les Chartreux impriment des livres liturgiques et des livres cartusiens, mais également un grand nombre d’ouvrages pour la société civile, sans grand profit toutefois, et parfois même à perte. Par exemple, « Le fond de la question juive, la Terre ou l’Argent lequel l’emportera ?», imprimé à la demande de Dom Léonard Gorse car l’auteur n’est autre que son père, ne sera pas un grand succès d’édition.
Outre le peu de rentabilité économique, l’imprimerie est source de nuisances : les allées et venues des 45 civils employés, leurs conversation et le bruit de la production troublent le précieux silence des moines.
La communauté décide alors de limiter la production à l’impression d’un seul ouvrage, Denys le Chartreux. Ce sera le cas jusqu’au départ des moines en 1901.
1901, les lois sur les associations, amenant à la séparation de l’Église et de l’État, sonnent le glas de nombre de communautés religieuses.
À Neuville, ce sont 300 caisses, qui pèsent 50 tonnes et remplissent 20 wagons de chemins de fer qui prennent le chemin de l’exil vers l’Angleterre. La bibliothèque à elle seule comprend 144 caisses, la sacristie 84.
En plus de ce train de mobilier, l’imprimerie fait partie du voyage mais part pour une autre destination.
Elle fait un arrêt à Tournai (Belgique) chez les Pères Camilliens où elle passe 10 ans.
De nombreux livres y sont encore édités jusqu’en 1913, quand le Chapitre Général décide qu’elle doit être transférée en Angleterre. Il faut près de 914 caisses pour contenir les 148 tonnes de matériel !
Le déménagement dure 5 mois.
Enfin, l’imprimerie rejoint la Chartreuse de Parkminster où elle est installée dans des étables, adaptées pour l’occasion. Raymond Coquerelle ancien élève de Desclée à Tournai, y dirige l’atelier dès 1914. Un ouvrier et deux frères, l’accompagnent, sous la direction d’un père. Il est le dernier à savoir faire fonctionner la presse.
Il s’éteint en 1954.
Avec lui se taisent les machines de l’Imprimerie Générale de l’Ordre des Chartreux, remplacée par une offset.
En 2012, nous avons conclu un accord tripartite avec le gouvernement anglais et l’Ordre des Chartreux afin de rapatrier le matériel d’imprimerie de la Chartreuse de Parkminster vers sa jumelle de Neuville-sous-Montreuil.
Ce retour de l’imprimerie attend son dénouement.