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« J’ai reçu beaucoup de conseils ces dernières années, beaucoup de « vous êtes trop » ou « vous n’êtes pas assez » et puis j’ai appris à me faire davantage confiance. » Maman de Léo, 12 ans, atteint de divers troubles associés dont celui du trouble de la mémoire du travail (1), Delphine a frappé à de nombreuses portes afin de comprendre ce qui se passait. C’est une rencontre récente avec une psychologue qui a marqué un avant et un après dans son parcours de maman aidante. « Le répit, ça ne se décrète pas mais je sais maintenant ce qui me permet à la fois de me retrouver et de partager avec d’autres. »
« On parle beaucoup du handicap mais, quand on le vit, on se sent encore seul. » Seule et avec l’impression d’être peu écoutée, voilà ce que retient Delphine des nombreuses années passées à chercher « ce qui n’allait pas » dans le comportement de Léo, bébé sans tonus, comme absent, avec lequel Delphine avait le sentiment de « perdre le contact ». En grandissant, enfant angoissé et agité, dormant très peu. « En rentrant de l’école où il ne communiquait pas, il hurlait, on avait l’impression d’avoir lâché un fauve dans la maison », se souvient Delphine. A l’époque technicienne de l’intervention sociale et familiale (2), Delphine a entendu du corps médical qu’elle ne séparait pas assez son travail et sa vie personnelle, qu’elle était trop fusionnelle, trop à l’écoute. Tous ces « trop » ajoutaient à sa confusion plus qu’ils ne l’aidaient. Avec le recul, elle pense que le corps médical était lui aussi démuni. A mesure que les terreurs nocturnes de Léo augmentaient, Delphine s’est tournée vers des centres spécialisés (3) pour être accompagnée par des professionnels. « J’ai poussé des portes parce que j’avais besoin, en tant que parent, de réponses à mes questions, j’avais besoin de comprendre pour mieux accompagner Léo et l’aider à être plus serein… »
C’est lors d’une consultation avec un neuro pédiatre à Lille que « tout s’est déclenché » : un diagnostic était posé. Léo a pris un traitement qui l’a apaisé et qu’il a pu arrêter après un certain temps. A l’accompagnement de professionnels, psychologue, psychomotricienne, ergothérapeute, s’est ajoutée la présence indispensable d’assistantes de vie scolaire et la bienveillance de deux directeurs d’école, familiers du handicap. « On nous avait dit : « les études, n’y comptaient pas », et pourtant Léo est au collège avec un directeur qui revendique le droit à l’échec, à la deuxième chance. » Aux côtés de Léo, présente comme peut l’être un parent, Delphine n’a pas pu concilier vie personnelle et travail. Elle a développé une maladie inflammatoire articulaire assez invalidante à certaines périodes et arrêté de travailler. Plus récemment, l’impact des mesures liées au confinement sur leur quotidien a fortement perturbé Léo et, par effet ricochet, sa maman. Delphine a souffert de malaises à répétition jusqu’à ce qu’un spécialiste découvre une colopathie fonctionnelle. C’est peut-être cette goutte de trop qui a décidé Delphine à accepter une aide extérieure pour elle-même cette fois-ci. « Je ne pouvais plus continuer comme cela et j’en avais pris conscience… »
A court de munitions en termes de combativité, c’est encore une rencontre, avec une psychologue, qui a remis Delphine en mouvement. « L’écoute, ça fait un bien fou ! Enfin dire les choses, comme on les ressent, à un moment donné… les poser sur la table pour commencer à en faire le tri, pour commencer à les voir autrement. Sans cette expression, tout est brouillon dans sa tête, plus rien n’a de sens. Je n’avais jamais vraiment parlé, même à mon conjoint, pour le préserver, pour qu’il reste fort. C’est lui qui prend le relais quand je ne peux plus. Quand je vais mieux, il se met en retrait et reprend des forces. Pendant toutes ces années, j’ai reçu tant de conseils. J’avais envie de dire : « et vous, comment feriez-vous… prenez ma place, faites ». Il n’y a pas de recette miracle… Quand on est personnellement confronté au handicap, tout est plus difficile. Dans mon métier, remplir les dossiers de la Maison Départementale des Personnes Handicapées ne me posait aucun problème. Quand je le fais pour Léo, je dois tous les deux ans prouver qu’il a toujours un handicap et je suis dans l’angoisse que les aides ne lui soient pas accordées. Et je ne parle là que de difficultés administratives… On fait comme on peut, avec notre propre histoire. J’ai aussi appris à me préserver des autres et à me faire davantage confiance. »
Depuis plusieurs mois, entre les échanges avec la psychologue et ceux au sein d’un café des aidants, Delphine est vraiment dans cette réflexion de savoir ce qu’elle fait maintenant non pas « à cause » de son histoire mais « grâce » à son histoire. « J’ai rencontré cette psychologue au bon moment. Je n’aurais pas eu la même motivation, la même envie, cinq ans avant. On a besoin de cheminer. On passe par le déni, après par la colère, nécessaire je pense, et puis une forme d’acceptation. Au contact d’autres aidants, je me sens moins seule. On a tous ressenti la difficulté à être réellement accompagné, le manque d’écoute, la complexité des démarches administratives et l’épuisement à un moment ou à un autre. » S’il n’y a pas de recette miracle pour être un aidant, Delphine a néanmoins découvert que sa passion pour la cuisine pouvait être sa bouffée d’oxygène. Afin de diminuer l’inconfort de sa colopathie, elle s’est formée à une cuisine appropriée à cet état. « J’ai dû revoir toute mon alimentation, apprendre à cuisiner autrement. J’ai pris cela comme un défi et je me suis aperçue que ces recettes avaient en plus du goût ! J’ai pris confiance en moi. C’est une activité équilibrante, un moment à moi… »
Delphine a eu une première occasion de proposer des biscuits de sa création lors d’un goûter des aidants. « Je les ai disposés sur la table et j’ai laissé les personnes les déguster. Tout le monde en a apprécié la saveur gourmande, surpris par les ingrédients utilisés (4). A ce moment là, j’ai ressenti une telle satisfaction et un vrai plaisir à parler de cette cuisine différente ! Ce plaisir, je le retrouve quand je cuisine et quand je crée une recette. La recherche qu’il y a autour d’une recette est tout aussi jouissive. Je me retrouve dans une bulle et j’oublie tout le quotidien. C’est mon échappatoire. » Delphine a ensuite eu la satisfaction d’organiser un atelier autour de la cuisine sans fermentation à l’occasion d’un rendez-vous entres aidants (5). « J’ai pu partager avec enthousiasme ma cuisine et mes conseils trois heures durant. » La cuisine mène au partage et c’est bien pour cela qu’elle appelle sa petite entreprise en devenir la cookshare. Delphine a toujours aimé cuisiner mais peut-être l’avait-elle oublié en chemin, avant d’en retrouver le goût, pour elle et pour les autres. Elle s’inspire d’ailleurs aussi de recettes de son enfance qu’elle « réinvente » pour convenir à son régime alimentaire. C’est auprès de personnes qui ont elles aussi besoin de s’échapper d’un quotidien « par moment lourd et pesant » que la cuisine du partage est née et c’est dans cadre que Delphine veut faire évoluer son projet.
Les « c’est trop bon » ont réconcilié Delphine avec les « trop ceci », « trop cela » qui lui avaient tant fait perdre confiance en elle et en sa capacité, avec l’aide de son conjoint et de professionnels bienveillants, d’accompagner Léo, avec les forces et les faiblesses d’une maman…
Propos recueillis par N. Cuvelier
1)Ou dysmnésie
2) Elles accompagnent au domicile des familles confrontées à des difficultés pouvant parfois affecter l’équilibre de la famille, le lien parental, la protection de l’enfant et son développement
3) Centre d’Action Médico-Sociale Précoce (CAMSP) puis Centre médico psychologique (CMP) pour les enfants au-delà de 6 ans. Ces centres proposent aux personnes en souffrance psychique une offre de soins médico-sociaux pris en charge par la sécurité sociale
4) Sans trop révéler de ces recettes bien-être, Delphine utilise beaucoup des farines de riz, maïs, millet quinoa
5) Organisé par la plateforme territoriale des aidants du Calaisis
Lire aussi l’interview de Mélody Bonny, psychologue, qui anime plusieurs cafés des aidants et assure à la demande un accompagnement psycho social individuel en lien avec les partenaires du territoire
Plus d’information sur la cookshare : lacookshare@free.fr