Les Services d’Aide à Domicile (SAD) ont été mis en lumière à l’occasion de la crise sanitaire. Grâce à leurs intervenants, aide-ménagères, auxiliaires de vie, assistantes de soins en gérontologie, nombre de personnes âgées ou malades accompagnés dans certains actes de leur vie quotidienne (1), peuvent ainsi continuer à vivre chez elles. Responsable de l’ADMR de Berck, Mylène Merchez gère 45 salariés qui interviennent auprès de 350 bénéficiaires. « Je voulais rester dans le domaine du social, être au plus près du terrain, tout en assumant des responsabilités d’encadrement d’équipe. Aujourd’hui, j’ai l’impression de devoir tous les jours relever des défis. »

La crise sanitaire a braqué les projecteurs sur les soignants en milieu hospitalier, les personnels des Ehpad et, avec un peu de retard, les intervenants du domicile. Pourtant, le confinement a très vite révélé la précarité de certaines situations du domicile, dès lors que ces personnels manquaient à l’appel. La crise a permis de montrer qu’ils sont en première ligne et que les Services d’Aide à domicile ou Service de Soins Infirmiers à Domicile (SSIAD) ont tenu leur rôle, notamment en sortie d’hospitalisation. En parlant de précarité, c’est aussi tout un secteur dont on a découvert les difficultés. Un secteur qui, avec le vieillissement de la population, l’augmentation des maladies chroniques et les politiques de maintien à domicile, pourrait embaucher bien plus qu’il ne le fait actuellement.

Le casse-tête du recrutement et l’insuffisante valorisation du métier

« C’est un secteur éprouvé, en flux tendu avec un fort turn over des personnels et de nombreux arrêts maladie. Les journées sont à rallonge avec des amplitudes horaires importantes et des week-ends travaillés pour à peine le SMIC », confie Mylène pour expliquer le peu de candidats, et encore moins de candidats par vocation. « Pour offrir de meilleures conditions de travail, il faudrait davantage de personnels ce qui permettrait de mieux aménager les plannings et anticiper les besoins. Mais pour attirer plus de monde vers ce secteur, il faut améliorer les conditions d’exercice du métier. On tourne en rond et en tant que responsable, j’ai le sentiment que mon travail, c’est la résolution de problèmes, dans l’urgence. » Au domicile comme en Ehpad, ce sont les bras qui manquent et cela crée de l’insatisfaction du côté des personnels et des bénéficiaires. « Cela fait 5 ans que je suis à ce poste et c’est toujours le casse-tête du recrutement et de l’insuffisante valorisation du métier qu’il faut gérer, en trouvant certains leviers de recrutement (2), par exemple, des plannings permettant aux salariés de mieux gérer leur vie de famille ou un complément d’emploi à temps partiel. » En trouvant aussi des solutions à l’échelle locale, par exemple via des contrats d’apprentissage (3) … « C’est un métier qui ne doit pas être subi ou choisi par défaut, sinon, on ne tient pas, notamment les plus jeunes qui veulent avant tout pouvoir concilier ce travail avec leur vie familiale mais aussi leurs loisirs. Ils ont ainsi plus de mal à accepter les horaires atypiques et les week-ends. » Une étude faite par des étudiants auprès de SAD du territoire a montré que ce n’est pas la reconnaissance salariale qui est le plus souvent évoquée mais la reconnaissance de leur utilité sociale. « Ne plus être considérés comme les oubliés du système », c’est ce que la crise a révélé (3).

Entre qualité de vie au travail et bien-être des bénéficiaires et proches aidants

Les bénéficiaires nous sont adressés par les assistantes sociales des hôpitaux, souvent dans l’urgence d’une sortie d’hospitalisation, les tutelles, les enfants qui veulent être rassurés, rarement les conjoints qui pensent pouvoir gérer par eux-mêmes. Ils sont également adressés par le Département qui déclenche des plans d’aide, et les financements qui vont avec, dans le cadre de l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (4). L’activité de ce secteur est encadrée par le Département qui fixe pour les bénéficiaires de l’APA le coût horaire de l’intervention et le temps requis pour les différentes aides de la vie quotidienne. « Les bénéficiaires se plaignent de passages trop rapides, d’un service rendu qui ne répond pas à toutes leurs attentes. Ils voudraient avoir toujours la même personne, aux jours et horaires qui leur conviennent. Ils ne supportent pas trop le changement. Avec toutes les difficultés rencontrées à établir nos plannings d’interventions au domicile, on en arrive à oublier que notre métier est de répondre au mieux aux besoins de service de nos bénéficiaires… Je suis dans ce difficile équilibre entre la qualité de vie au travail des salariés et le bien-être des usagers. » Mylène le reconnaît, les problèmes de recrutement ont pu la pousser à privilégier l’aménagement des plannings des personnels. Ceux-ci n’en peuvent plus d’être la principale variable d’ajustement. Pour remédier à cette baisse de la qualité de service, Mylène a embauché un agent qualité qui passe au domicile relever les besoins exprimés par le bénéficiaire, un bénéficiaire, on peut le comprendre, qui ne veut pas attendre 11h pour son aide à la toilette parce qu’en faisant tourner les plannings, aucun passage n’est possible avant !

L’intervenant du domicile ne peut pas se substituer à des proches

« L’autre demande de nos bénéficiaires, c’est que les intervenants aient plus de temps. Il faudrait pouvoir ajouter du temps de convivialité au temps technique de réalisation des services à la personne. Ce serait aussi un moyen de libérer du temps pour les proches aidants parfois épuisés. » Mais, à ce jour, il n’y a pas de financement pour ce temps-là, qui n’a pas de prix pour les personnes isolées… « C’est fini le temps où l’on pouvait attribuer une personne référente et toujours la même… Oui, un lien affectif pouvait se créer. Mais l’intervenant du domicile ne peut pas se substituer à des proches. Malgré tout, les intervenants prennent le relai, du mieux qu’ils peuvent mais ils ne peuvent pas et ne doivent pas combler tous les manques en terme affectif de la personne isolée. J’ai une salariée qui va chez la même personne depuis plus de 10 ans. Forcément, il y a eu des fous rires, des souvenirs, de la peine partagés, tout ça ancré dans le temps. Les personnes vulnérables sont hyper attachantes. J’ai vu des scènes émouvantes au domicile. Mais comment je fais, moi, pour gérer mon association qui est une petite entreprise, tout en restant dans l’humain ? Beaucoup de responsables de structures sont en souffrance parce qu’ils n’ont pas les réponses… » Malgré toutes ces difficultés, Mylène a pu compter pendant la crise sur un noyau de salariés qui ont fait preuve d’une belle solidarité, déterminés à montrer qu’ils ne sont pas arrivés dans ce métier faute de mieux… Elle-même fait la part des choses car c’est un métier qu’elle a choisi et qu’elle n’entend pas subir. « C’est un métier très enrichissant de par les relations humaines avec les bénéficiaires, leurs proches, les salariés, les échanges et collaborations avec différents partenaires. Je dispose d’une autonomie dans la conduite de projets destinés à améliorer l’accompagnement des bénéficiaires et le bien-être au travail. Cette richesse humaine m’apporte une bouffée d’oxygène et m’aide à gérer les difficultés quotidiennes. »

Propos recueillis par N. Cuvelier

1)L’entretien du logement et du linge, l’aide au lever, à la toilette, aux courses, la préparation des repas, l’aide au coucher. Les aides à domicile peuvent également accompagner les personnes âgées lors de sorties et faciliter le maintien d’une vie sociale.
2)Dans les leviers de recrutement possibles, certaines structures envisagent la mise à disposition de véhicules de service
3)Localement, une expérimentation est menée avec les ADMR de Berck et Rang-du- Fliers, l’Institut Régional de Travail Social d’Étaples et Pôle Emploi.
4)Après les soignants, les intervenants du domicile ont reçu une prime covid en reconnaissance du travail accompli. Cette prime a été calculée et versée par le Département, avec des variations importantes d’un territoire à l’autre. Dans le Pas-de-Calais, les 2500 aides à domicile ont reçu 1500€. « Un très bel effort », reconnaît Mylène, « mais c’est bien une revalorisation des salaires à long terme qui est nécessaire ».
5)Différentes aides sont possibles pour aider à financer les interventions d’aide à domicile, sous réserve de remplir les différents critères d’éligibilité : l’APA (allocation personnalisée d’autonomie), l’aide-ménagère, les aides fiscales, les aides des caisses de retraite, les aides des complémentaires santé.