Michel Babillot est professeur de philosophie côté ville et comédien côté scène. Sur les planches, c’est un homme caméléon, un instant vieillard, sage et espiègle, l’instant d’après, petite fille, malade et lucide, en fonction des personnages incarnés. A la fois cocasse et grave, il parle de tout sur scène, avec une profonde humanité mais sans détour. La maladie, la perte d’autonomie, le handicap, la fin de vie… Rien ne saurait être tabou dit avec de l’empathie et la juste distance que la scène met entre les personnages et les spectateurs. Le 12 septembre, il viendra jouer « Aidez-moi un peu, beaucoup, pas trop », une pièce cocréée et jouée avec Philippe Dulin. C’est une pièce sur le grand âge et la perte d’autonomie, sources de problèmes mais pas seulement !

Entretien avec un homme qui aime toucher le cœur du spectateur pour délier la parole comme la fragilité peut délier des ressources inexplorées…

Un professeur de philo qui monte sur scène, ce n’est pas courant ?

Je cherchais à faire sortir de moi des choses intimes, sensibles et subtiles. Le théâtre s’est imposé comme mon mode d’expression naturel. Si je n’avais plus aujourd’hui cette activité qui remplit la moitié de ma vie, je ne sais pas comment je le vivrais. C’est un excellent outil de connaissance de soi. On apprend à s’ouvrir aux autres et on travaille sa présence à soi-même, aux autres et au monde en général. La présence, c’est une chose qui fait un peu défaut dans notre société, tout comme l’écoute. C’est parfois plus facile d’être absent aux autres… Sur scène, on est forcément présent aux autres.

Les thèmes abordés dans vos spectacles sont des thèmes sensibles : la fin de vie, le handicap, la dépendance. C’est un parti pris ?

Oui et non. Quand j’écris mes textes, c’est vrai que je cherche à titiller notre humanité de près. C’est vrai aussi que les personnes fragiles m’intéressent davantage car elles sont obligées d’aller chercher au fond d’elles-mêmes les ressources pour dépasser leur fragilité. D’ailleurs, les personnes fortes existent-elles ? Je n’en suis pas sûr. On est juste plus ou moins fort pour donner le change à une société exigeante… Mais revenons aux spectacles et à leur thème. « Le temps du départ », sur la fin de vie, était une commande d’une association pour essayer de sensibiliser un public plus large. J’avoue que j’ai hésité à répondre favorablement à cette commande car, à cette époque, je n’avais jamais accompagné de personne en fin de vie et le sujet était bien moins abordé qu’aujourd’hui. Alors, j’ai eu l’idée de collecter des témoignages de personnes ayant ce vécu et j’ai rencontré des accompagnants bénévoles, des soignants et des personnes âgées ; assez peu d’aidants familiaux, probablement parce qu’il leur était plus douloureux de témoigner.

Parlez-nous de ces spectacles…

Pour tous ces spectacles, j’ai toujours eu en tête une phrase dite par une animatrice avec qui j’ai travaillé. La voici : « l’humour, c’est ce qui évite que ça attache ». Tout devient dramatique sans recul, a fortiori les situations de vie douloureuses. Le rire permet d’alléger les plus lourds fardeaux. On ne peut pas rire de tout et, pourtant, Benigni dans « La vie est belle » a pris le parti de traiter avec légèreté un des événements les plus dramatiques du siècle dernier. Sur le thème du handicap, le film « Intouchable » a touché un large public grâce à l’humour présent tout au long du film. L’humour c’est aussi un moyen de faire changer les regards. Dans mon spectacle « T’as vu comment il est ou la voie du crapaud », je m’appuie bien sûr sur les contes de fées et la symbolique du crapaud qui se métamorphose à condition d’être aimé. C’est toute une réflexion sur le regard qui élève ou le regard qui tue que j’aborde là. Ces différents regards sont un sacré défi pour les personnes porteuses d’un handicap et leur entourage…

Certains spectacles remontent à plusieurs année, parmi les plus récents, quels en sont les thèmes ?

L’autisme dans Longue vie à Boubou le Grimaud, la santé mentale dans Quand revient le sourire, les bons et mauvais usages des écrans dans Anawan et Mousseline.  Deux autres spectacles verront bientôt le jour, l’un consacré aux troubles dys et l’autre aux migrations, notamment climatiques. Tous ces spectacles, sauf un, résultent de commandes sur des thèmes très actuels.

L’humour est thérapeutique ?

Oui, j’en suis certain mais il n’est pas donné à la naissance. Dans « Aidez-moi un peu, beaucoup, pas trop », sur l’entrée en dépendance, on suit quatre personnes âgées et leur entourage. L’une des quatre histoires est celle d’Albert qu’un auxiliaire de vie, et cela a son importance car rares sont les hommes qui se frottent à ce travail encore aujourd’hui, va aider en sollicitant son sens de l’humour. On s’offre de sacrés espaces de liberté grâce à l’humour et au jeu en général. Beaucoup de personnes rejouent avec l’âge, avec beaucoup d’espièglerie parfois. C’est vivifiant le jeu !

Dans « Aidez-moi un peu, beaucoup, pas trop », vous abordez le point de vue du proche aidant mais aussi celui de la personne accompagnée, c’était important de croiser les deux regards?

Il importait de faire aussi entendre les personnes vieillissantes car cette expérience que nous ferons tous, sauf décès prématuré, peut être vécue de beaucoup de façons différentes : parfois dans l’angoisse, parfois dans la colère, parfois dans l’amertume, parfois dans l’inconscience et le déni et parfois aussi dans la sérénité ou dans la légèreté. Chacun a des choix à faire par rapport à cela ; par exemple, selon qu’on prépare bien ou mal sa future dépendance, on ne la vivra pas de la même façon et il est essentiel d’en être bien conscient afin de faire les choix qui nous correspondent le mieux et qui ne seront probablement pas les mêmes pour tout le monde. Et il faut bien comprendre ce point : il n’y a pas un bon choix qui conviendrait à tous mais il y a un choix plus juste pour chacun en fonction de ce qu’il est et de sa situation et c’est à chacun de le trouver pour lui-même en personne responsable d’elle-même, ce qui implique de ne pas déresponsabiliser la personne comme c’est hélas parfois le cas dans notre société.

Vous parliez du regard de l’autre… Quel regard le public a-t-il pu porter sur votre spectacle sur la fin de vie ?

Le regard est souvent le reflet de ce que vivent les personnes. Des parents, parfois, se sentent agressés par le passage où je parle de ces adultes qui, face à la maladie de leurs enfants, « font semblant d’être gais quand ils sont tristes », n’expriment pas de colère et de fait n’en donnent pas la possibilité à leurs enfants… Pourtant, le message est essentiel : en faisant semblant, la relation est faussée et on ne peut rien vivre de vrai à l’intérieur de cette relation. On perd le contact à jouer de faux sentiments. C’est une forme de politesse du désespoir qui ne mène à rien. C’est si difficile à assumer ce rôle de proche aidant… Dans le public, il y a des yeux qui se baissent, d’autres qui s’allument. Et des histoires derrière ces yeux… Une institutrice qui peu de temps après le spectacle où il est question, entre autres, de l’importance du contact tactile pour les personnes âgées et les malades, est allée voir sa mère pour la toucher, la caresser, ce qu’elle n’avait jamais fait ; une dame d’un certain âge qui a décidé de retourner voir le spectacle avec sa mère, sa fille et sa petite fille et qui confie que cela a été le point de départ d’échanges très riches entre les 4 générations … Le théâtre est un formidable outil de médiation qui peut débloquer la parole au sein d’un couple, d’une famille. Si on jouait plus la colère, on le serait moins face à ces situations que l’on estime injustes…

Et le regard de l’autre sur la différence, a-t-il changé d’après vous ?

Si on voit sortir des films, c’est bon signe non ? Je me souviens d’un documentaire de Tony Lainé, « L’amour en France » je crois, que j’étais allé voir au ciné il y a quelques années. La dernière séquence était consacrée à l’amour entre personnes handicapées. La moitié de la salle était partie quand elle avait réalisé qu’il allait être question de personnes handicapées. On ne verrait plus ça aujourd’hui. J’ai un autre exemple, raconté par un éducateur d’un centre pour enfants polyhandicapés. Cela se passe à la fin des années 70. Le centre organise la première sortie à la mer. Quand les enfants sont arrivés sur la plage, ils ont malheureusement entendu des remarques monstrueuses. On n’entendrait plus ça aujourd’hui, je pense. Les gens commencent à comprendre, pas assez vite probablement, qu’une personne ne se résume pas à son handicap. Quel plus bel exemple que celui de Petrucciani…

Un des plus grands du haut de ses 99 centimètres de fragilité. C’est à cette fragilité faite homme, femme ou enfant que Michel Babillot s’attache, pour y déceler les ressources et les forces cachées et souvent bien insuffisamment valorisées !

Propos recueillis par Nathalie Cuvelier

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