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“Enfin, François, tu as Alzheimer ou quoi !”… Disait l’entourage, évidemment en plaisantant. Isabelle Gosset est une battante, une aidante aussi, même si elle a eu du mal à se reconnaître dans ce rôle qui s’est imposé à elle. « On devient aidant sans s’en rendre compte, peut-être parce qu’on est tous aidants de quelqu’un, à des degrés différents et de manière assez naturelle.» Du fait de la maladie de son époux, dont les signes avant-coureurs sont survenus alors qu’il n’avait pas 60 ans, Isabelle s’est installée dans ce rôle avec une grande incompréhension. « Si j’avais pu trouver un interlocuteur pour m’expliquer le long chemin qui m’attendait, j’aurais mieux accompagné François dans sa souffrance psychologique. Nous aurions gagné des années de partage et de complicité. Nous aurions fait face ensemble et trouvé des solutions pour avoir un meilleur confort de vie. »
Il a fallu qu’Isabelle tombe sur des écrits de François pour réaliser ce que l’entourage et elle-même n’avaient pas su voir de sa souffrance. « Lorsque le malade ne reconnaît plus personne, c’est presque la phase terminale. II y a un long processus avant, parfois de très nombreuses années. C’est là qu’il faut agir, ne pas baisser les bras, ne pas s’isoler. J’ai été en colère contre moi-même quand j’ai réalisé que j’aurais pu l’accompagner autrement, en étant à ses côtés, sans faire à sa place. Il y a des signes avant-coureurs et il faut savoir les reconnaître. Pendant des années, il y a eu un changement de comportement qui a été mis sur le dos de la dépression post-retraite. Des tocs, des anxiétés, un sommeil perturbé, un manque de confiance, tout cela le poussait à s’isoler. Des anxiolytiques et des anti-dépresseurs lui ont été prescrits sans vraiment d’amélioration de son état. J’étais devenue son cerveau de substitution. » François est devenu dépendant d’Isabelle parce qu’il ne savait plus faire mais elle l’a compris trop tard. « Lorsqu’il ne me voyait plus, il était perdu », se souvient-elle. Son anxiété augmentait, son comportement changeait, les oublis se multipliaient et Isabelle se souvient de toutes les explications données par un entourage dérouté, qui cherchait à expliquer, « il n’assume pas bien sa retraite » ou à en plaisanter « enfin, François, tu as Alzheimer ou quoi ! », jusqu’à leur médecin qui se voulait rassurant, « François a toujours été tête en l’air ! » … Isabelle comprend avec le recul l’anxiété et les colères de son mari face aux réponses inappropriées des proches, faute de savoir ou en raison d’une forme de déni. « Il ne faut pas croire que la personne atteinte de cette maladie oublie tout, non elle est consciente et cache comme elle peut ses souffrances psychologiques. Lorsque François a été diagnostiqué, personne n’a pris l’initiative de venir m’expliquer la maladie, de me donner des conseils pour encadrer et comprendre tous ces changements de comportement. On dit que les personnes Alzheimer deviennent violentes mais cette violence peut être une réponse à nos propres maladresses face à cette maladie complexe. »
Isabelle s’est à l’époque sentie terriblement désemparée et seule. Elle veut donc aujourd’hui partager son expérience dans le respect de situations de vie toutes singulières. Elle a créé, en 2019, l’association « Où sont mes clefs ? », dont l’objet est de sensibiliser aux signes avant-coureurs de la maladie et d’informer pour mieux appréhender les troubles de la mémoire. « Je suis passée par là et cela donne une légitimité à mon action », une initiative complémentaire de ce qui existe pour accompagner les malades Alzheimer et leurs proches. Avec cette association, Isabelle s’inscrit dans le cadre de la pair-aidance, le partage entre personnes qui vivent une expérience commune, l’une avec le recul de ce qui est derrière elle, l’autre en prise avec ce qu’elle vit. Elle souhaite par exemple aider ceux qui sont perdus, comme elle l’a été, dans le langage des abréviations : MDS, SSIAD, CCAS, MDPH, MAIA, APA, GIR…. Évidentes pour ceux qui les pratiquent au quotidien, elles renforcent la confusion des aidants. « Il faut passer beaucoup de temps sur internet pour s’y retrouver, aller chercher l’info, comprendre qui a droit aux aides et ce qui est demandé pour les mettre en place… Quand j’étais aidante, je n’en avais ni le temps ni l’énergie. J’étais tellement accaparée par la maladie de François que je n’arrivais plus à me concentrer sur les infos trouvées, trop nombreuses et donc confuses. Il faut comprendre aussi que, bien souvent, les aidants écoutent mais n’entendent pas… Il faut trouver le bon moment pour avoir leur attention. » L’association est un lieu d’accompagnement pour écouter, sensibiliser, orienter et aider à dédramatiser certaines étapes de la maladie. Quand l’aidant se résout à envisager de l’aide à domicile ou un hébergement en Ehpad, la question financière peut devenir une source de stress supplémentaire et freiner la mise en place de solutions pour le soulager. Isabelle ayant vécu cela, elle apporte sa compréhension de tous ces questionnements : « on cherche et on trouve ensemble des solutions pour améliorer le confort de vie de l’aidé et de l’aidant avec des aides humaines et financières ».
Mieux connue, la maladie est souvent diagnostiquée et accompagnée trop tard. Les aides se déclenchent encore quand trop de temps a été perdu dans l’évolution de la maladie et au prix de nombreuses maladresses involontaires et de l’épuisement du proche. Évidemment concernée par les avancées sur la maladie D’Alzheimer, Isabelle est inspirée par les travaux du Professeur Amouyel, Professeur de Santé Publique au CHU de Lille et ancien directeur général de l’Institut Pasteur de Lille, et d’autres études scientifiques qui se rapprochent l’une de l’autre. Elle souhaite sensibiliser sur l’importance de la stimulation du cerveau. Si elle avait connu ce nouveau protocole, elle reste persuadée qu’elle aurait gagné 5 à 10 ans avant que François ne perde toute son autonomie et soit obligé d’aller dans un établissement spécialisé afin de ne pas se mettre en danger. « Aujourd’hui, avec un diagnostic en stade 1 ou 2 de la maladie, je sais qu’un protocole existe et qu’il est possible de retrouver des capacités perdues. Avant, on disait ce qui est perdu est perdu. On sait maintenant que les neurones perdus se renouvellent tout au long de la vie. Il faut les entretenir comme on entretient ses muscles. On conseille à une personne qui se déplace avec de plus en plus de difficultés de faire quelques pas tous les jours. C’est la même chose pour une personne qui a des pertes de mémoire, il faut faire des exercices pour bien nourrir son cerveau, le nourrir au sens propre et au sens figuré », insiste Isabelle. On connait aujourd’hui, l’importance de l’alimentation mais aussi l’indispensable oxygénation du cerveau par l’activité physique, la méditation, la relaxation. Avec sa belle énergie, Isabelle passe un message qui s’adresse à tous : « La prévention reste le meilleur traitement aujourd’hui de cette maladie ! Parlez des pertes de mémoire dès les premiers symptômes à votre médecin. Ce n’est probablement pas la maladie d’Alzheimer mais l’important est de diagnostiquer la cause et d’agir le plus rapidement possible. »
François avait été placé en Unité de Vie Alzheimer (UVA) par le médecin à la sortie d’une énième hospitalisation. Les derniers mois de sa vie au domicile, Isabelle ne dormait plus et elle n’aurait pas pu continuer longtemps : plus de sommeil, plus de vie sociale ni familiale, elle vivait avec son époux, dans la « prison dorée » qu’était devenue leur maison, sans plus aucun dialogue possible entre eux. Il est décédé de la Covid-19 pendant le premier confinement, un moment douloureux pour Isabelle qui reste une battante et espère poursuivre l’activité associative, en acteur complémentaire de structures dédiées vers lesquelles elle souhaite orienter des aidants « désemparés », comme elle a pu l’être…
Propos recueillis par N. Cuvelier
En savoir plus sur l’association d’Isabelle : http://ousontmesclefs.fr/
Ouvrage du Professeur Amouyel recommandé par Isabelle : “Le guide anti-Alzheimer, les secrets d’un cerveau en pleine forme” – Éditions Le Cherche-Midi
Découvrez un des nombreux exemples d’aide entre aidants avec Alice Steenhouwer, directrice d’Avec Nos Proches