« Il faut être bien en soi pour accompagner les autres, être soutenue par son entourage et trouver des modes d’expression de soi, quels qu’ils soient. » Psychologue, psychothérapeute et art-thérapeute, Charlotte His s’est autorisée ces dernières années à une expression personnelle « intuitive, sensorielle et émotionnelle ». Cet élan créatif l’a menée vers le personnage de Frida Kahlo (1) dont elle a fait de nombreux portraits (2). Aujourd’hui, Charlotte His met des mots sur cette rencontre inattendue et imaginaire. « La vie de Frida Kahlo, artiste à la fois forte et fragile, aussi forte que fragile, touche beaucoup de gens et me touche très profondément ». Charlotte His semble avoir trouvé dans cet effet miroir « une sœur de cœur » …

Qu’est-ce qui vous a motivée à vous former à l’art-thérapie ?

Souvent les art-thérapeutes sont des artistes qui deviennent thérapeutes. Moi, j’ai fait le parcours inverse. J’étais psychothérapeute et je suis allée me former à l’art-thérapie pour travailler auprès de jeunes en institution. J’avais l’intuition que c’était une bonne technique pour eux, avec des portes d’entrée complémentaires aux mots et peut-être plus faciles que les mots. Quand on se forme à un type de thérapie, il faut d’abord y aller pour soi, expérimenter sur soi pour savoir ensuite utiliser les techniques pour d’autres. Cela a été un espace d’épanouissement personnel, sans le recours aux mots et peut-être pour cette raison même. Et c’est ce qui m’a donné l’audace d’exposer mes premières créations. Même s’il ne faut pas confondre l’art-thérapie et l’art, la frontière est ténue et un artiste se cherche, se découvre et se dévoile dans ses créations. Dans mon cas, cela s’est fait avec beaucoup de spontanéité. Je me suis avant tout dirigée vers les matières et les couleurs… avec pour seule technique le plaisir de me laisser surprendre. J’ai commencé à travailler du papier journal encollé et peut-être parce que je pratique la danse depuis longtemps, j’ai spontanément modelé des femmes en mouvement, aux formes rondes, pour leur douceur je pense. Puis je suis allée vers le portrait, un peu par hasard. J’ai commencé par faire le portrait de proches. Puis j’ai eu envie d’aller chercher des fleurs en papier découpées dans des magazines pour avoir une large palette de couleurs. Le collage, c’est une alchimie, les choses adviennent et j’ai envie de dire que Frida Kahlo est venue à moi, comme une évidence.

Pourquoi Frida Kahlo, une artiste qui a beaucoup souffert dans son corps ?

A vrai dire, je ne connaissais pas bien sa vie, juste l’icône, et j’avais vu le film qui l’a fait connaître au grand public. J’ai fait un premier portrait d’elle, puis deux, puis quatre… Je n’avais pas à l’origine de projets de faire des Frida Kahlo. Beaucoup d’art-thérapeutes disent que la répétition est nécessaire, même dans l’art. Et je me suis retrouvée physiquement en elle : je suis brune, j’ai la peau mate et des sourcils épais. Je pense aussi que son histoire et sa combativité me touchent mais cette réflexion est arrivée après. Comme on me pose des questions, je mets des mots et le sens apparaît après coup. Du coup, est-ce que Frida est venue à moi ou est-ce que je suis allée la chercher ? C’est vrai qu’il y a quand même quelque chose qui s’est passée en relation avec cette souffrance de Frida Kahlo. C’était très doux de la faire en fleurs. J’ai eu l’impression de la réparer. Une amie m’a dit en regardant un de mes portraits de Frida Kahlo : « je ne vois que toi… ». C’est elle qui m’a fait prendre conscience de cet effet miroir. Se laisser surprendre, c’est aussi cela, être à la fois acteur et témoin de ce qui se joue au moment de créer et, après. C’est merveilleux de faire des choses qui sont regardées par d’autres, qui à leur tour nous renvoient ce qu’ils voient de nous. Certainement qu’il y a une part de ma propre restauration même si ce n’est pas ce que je cherchais consciemment. Ce sont des interactions imaginaires que j’ai avec elle. C’est comme une sœur de cœur, je me fais une histoire. Pour moi qui viens d’une famille de 14 enfants ou le groupe passait forcément avant l’individu et aussi parce qu’un souci de santé m’oblige aujourd’hui à revoir mon rythme de vie, ce lien me pousse à réaménager mes envies, mes priorités, comme l’a fait Frida Kahlo pour compenser ses limitations physiques. Moi je n’ai pas été heurtée corporellement comme elle l’a été, mais elle m’autorise à vivre mes manques C’est une rencontre avec une femme inspirante qui me fait faire un chemin intérieur, mais après coup. Je crois que la douceur que je mets à composer ces portraits de Frida s’adresse aussi à moi. Dans ce travail de restauration, je prends aussi soin de moi. Ce chemin de portraits qui sont vraiment un miroir quand on m’en parle et que j’en prends conscience m’invite à faire avec ce que je suis. A titre personnel, en tant qu’artiste aujourd’hui, je ne peux pas montrer mes portraits de Frida Kahlo et dire qu’il n’y a absolument rien de moi dans ce choix…

Vous pouvez utiliser ce personnage dans votre métier de thérapeute ?

Dans ma pratique, j’ai été formée à la non-directivité et je n’induis rien. En thérapie, il faut que le cadre soit très clair pour que les choses soient saines et respirantes. Je créé des dispositifs les plus larges possibles pour que chacun aille chercher, et c’est un clin d’œil, son propre personnage, comme je suis allée chercher Frida Kahlo. Chacun a son histoire, belle et souffrante, qui mérite de pouvoir exister. Le thérapeute est là pour accompagner chaque expression singulière. Les ateliers d’écriture sont plus induits car on part de propositions. Partir d’une page blanche serait très difficile en écriture.

Peut-on vraiment faire l’économie de passer par les mots ?

Ce ne sont pas les mots qui m’intéressent le plus, je suis psychothérapeute et je suis ensuite allée à la fac pour être psychologue. Les mots, je les ai mis à la fin mais je suis très attachée à toutes les formes d’expression corporelle et émotionnelle. Le corps, le cœur, les mots, ça va ensemble… L’art-thérapie, c’est un dispositif très clair. On recourt à différents media pour se restaurer sans avoir à recourir aux mots et c’est parfois bien plus profond qu’avec les mots. Le dispositif d’art-thérapie consiste à relier ces processus préverbaux avec la parole qui va mettre en sens quelque chose. Le but n’est pas de faire une œuvre d’art même si, croyez-moi, tout est très beau car tout est subjectif comme dans les dessins d’enfant qui contiennent une telle énergie subjective. Des choses se disent en couleurs, en papier, en peinture ! En thérapie, on parle d’émergence du sujet, au travers de sa propre créativité et la finalité, c’est bien l’apaisement, la compréhension, la restauration. Mais, à un moment donné, les mots peuvent être salvateurs et aussi le fait qu’ils soient entendus sans jugement. Il y a des patients en art thérapie qui ne parlent pas ou très peu. Ce n’est pas le moment pour eux et ce ne sera peut-être jamais le moment pour eux. En supervision peuvent apparaître nos frustrations en tant que thérapeute mais c’est le rythme de l’autre qui compte, pas notre propre impatience de thérapeute. C’est important de comprendre aussi que l’expression c’est juste être soi-même et qu’elle n’est pas forcément reliée à un manque ou une souffrance…

C’est important pour une psychologue de prendre soin de soi et de faire avec qui l’on est ?

Oh oui c’est important en tant que professionnelle… Je ne me suis jamais oubliée parce que j’ai beaucoup travaillé pour mieux me connaître et connaître mes ressources. J’ai commencé une psychothérapie très jeune et, dans l’exercice de mon métier, j’ai pris soin de moi. J’ai toujours été en supervision avec d’autres professionnels pour partager et échanger sur ma pratique. Il faut être bien dans sa peau pour accompagner les autres et trouver des modes d’expression de soi, quels qu’ils soient. On peut très vite s’oublier pour aider l’autre, que l’on soit proche ou professionnel. Si vous avez un espace où vous êtes autorisé à être vous-même, vous travaillez sur vos fondations, vous vous fortifiez, et le détour par des choses plus intimes, plus douloureuses n’est pas forcément nécessaire. Notre vie personnelle est partout et on ne peut pas cloisonner les différentes dimensions de notre vie. Il est certain que je suis une meilleure aidante dans mon métier si je suis moi-même. Je le suis aussi parce que j’ai eu beaucoup d’aidants, à la fois familiaux et professionnels. L’art m’aide, est-ce que c’est thérapeutique, je n’en sais rien mais ce va et vient m’aide à me restaurer dans cette nouvelle vie que je dois organiser différemment. Et dans la vie de Frida Kahlo, l’art a dû l’aider, sans aucun doute.

Propos recueillis par N. Cuvelier

1)Frida Kahlo est une artiste peintre mexicaine, décédée en 1954. Tout au long de sa vie, elle gardera une santé fragile, souffrant de poliomyélite depuis l’âge de six ans puis victime d’un grave accident de bus. Elle devra subir de nombreuses interventions chirurgicales. Après son accident, elle se forme elle-même à la peinture. Elle était l’épouse de l’artiste Diego Riviera, mondialement connu pour ses peintures murales.
2)Exposition à la Chartreuse de Neuville du 10 au 25  juillet 2021