En 25 ans, la Fondation du patrimoine a sauvé plus de 39 000 sites patrimoniaux des plus divers – églises, théâtres, moulins, manufactures, jardins – en apportant des aides financières aux propriétaires, collectivités, particuliers ou associations qui se mobilisent pour la sauvegarde de patrimoines en péril. Alexandre Giuglaris en est le directeur général et il souhaite notamment renforcer la sélection des projets patrimoniaux en fonction de leurs retombées positives sur les territoires et accentuer l’engagement de la Fondation sur la protection du patrimoine naturel et de la biodiversité. « Le patrimoine génère des retombées économiques cruciales pour les territoires »…

« En préservant notre patrimoine, nous transmettons aux générations futures ce que nous avons reçu en héritage », cette phrase en exergue sur le site de la Fondation du patrimoine, ne traduit-elle pas qu’un des aspects de la volonté de la Fondation est de sauvegarder le patrimoine aujourd’hui ?

La volonté de transmission reste au cœur des missions de la Fondation du patrimoine, mais dans une acception plus large de préserver ce patrimoine « vivant » qu’ont connu les générations qui nous ont précédé pour l’inscrire au présent et au futur. Loin d’être une action passive, c’est un acte fort et engagé de contribuer à l’amélioration de la vie quotidienne des générations actuelles et futures. L’ambition de la Fondation est en effet de révéler l’impact du patrimoine sur les hommes et les territoires, pour assurer sa pérennité :

  • Connaissance de son histoire, sentiment d’appartenance et de fierté (identité étroitement liée au patrimoine, qu’il soit matériel ou immatériel), cohésion/lien social(e),
  • Développement économique grâce à l’attractivité touristique, les métiers maintenus ou créés pour son entretien, sa restauration et sa valorisation et les offres et activités qui se développent autour par rayonnement (hôtellerie, restauration, galeries d’art, etc.),
  • Mais également son impact environnemental, de première importance aujourd’hui, car réhabiliter un édifice pour lui donner une nouvelle vie évite l’artificialisation des sols pour la construction de nouveaux bâtiments qui accueilleraient un service ou une activité et que restaurer un espace naturel préserve la biodiversité et limite la pollution des sols, de l’eau et de l’air.

La sauvegarde du patrimoine est une cause populaire qui dépasse les frontières pour des patrimoines emblématiques – on l’a vu avec l’afflux spectaculaire de dons après l’incendie de Notre-Dame de Paris – pourquoi selon vous ?

Le patrimoine est constitutif de l’identité d’un territoire et de celle de ses habitants. Il offre un récit mémoriel collectif qui renforce le sentiment d’appartenance et participe à la valorisation d’un territoire et de son histoire. Certains sites français ont effectivement dépassé les frontières nationales. Le patrimoine français rayonne au-delà des frontières, notamment car la France reste la première destination touristique au monde (avec près de 100 millions de touristes internationaux en 2023), en premier lieu grâce aux sites patrimoniaux à (re)découvrir : 44 biens culturels inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO, 27 itinéraires cul­turels du Con­seil de l’Europe la tra­versant, près de 46 000 monuments historiques, 8 000 musées, 61 parcs naturels nationaux et régionaux, et des sites iconiques dans l’imaginaire touristique mondial : Paris, Le Louvre, Notre Dame, la Côte d’Azur, la Normandie, le Mont Saint-Michel, Bordeaux, la Champagne, le Mont Blanc, Tahiti, Chambord, etc. Ces sites et monuments sont devenus emblématiques de la France à l’international, symboles de sa beauté et de son histoire, et sont ainsi devenus le patrimoine de tous, éloignés mais finalement proches car dans l’imaginaire collectif, découverts en vrai lors d’un voyage, ou parce qu’ils font rêver.

On peut envisager la sauvegarde du patrimoine du point de vue son coût (et certains pourraient dire : « tout cet argent pour de vieilles pierres ») mais c’est aussi un investissement. Une étude de la Fondation du patrimoine réalisée en 2029 a souligné l’importance des retombées économiques générées par les travaux de restauration patrimoniale. Quelle est la nature de ces retombées ?

A l’occasion de ses 25 ans, la Fondation du patrimoine s’est effectivement interrogée sur son empreinte socio-économique et a confié au cabinet de conseil Pluricité la mission de mesurer et de valoriser l’impact de son activité.

Derrière les « vieilles pierres », il y a tout d’abord des hommes et des histoires humaines pour sauver et valoriser ces sites : des propriétaires, des bénévoles passionnés, des habitants qui se mobilisent (en temps et avec des dons), des artisans qui œuvrent sur les chantiers, des professionnels qui les accompagnent (DRAC, CAUE, AMO, équipes de la Fondation du patrimoine, etc.). En restaurant le patrimoine, on embellit le cadre de vie des habitants, on leur redonne de la fierté, des lieux où se retrouver, et ces projets ont ainsi un impact social non négligeable. L’étude des dynamiques locales qui se sont constituées autour des projets de restauration (engagement sociétal) montre que ces derniers s’inscrivent de plus en plus dans des stratégies territoriales « globales » croisant différents enjeux d’action publique et interrogeant l’usage du patrimoine en tant que tel. Ainsi, nouvellement restauré, le patrimoine est souvent utilisé comme un levier de (re)dynamisation d’une commune via l’amélioration du cadre de vie, facteur d’attractivité résidentielle et de revalorisation des territoires, ou le développement d’une offre culturelle et touristique globale qui aura des répercussions sur la visibilité et l’attractivité du territoire.

Le patrimoine génère des retombées économiques cruciales pour les territoires, notamment en zones rurales (rappelons que 52% du patrimoine français est situé dans des communes de moins de 2 000 habitants). L’étude menée a permis de souligner un effet levier à la générosité du public et à l’investissement citoyen dans le patrimoine : 1€ de don apporté au patrimoine génère 21€ de retombées économiques durables sur le territoire. En 2019, l’action de la Fondation, par le soutien de plus 550 M € de travaux, a généré près d’1,2 milliards d’activité économique avec des retombées économiques :

  • directes : dépenses directes de fonctionnement de la Fondation du patrimoine et montant des travaux réalisés dans le cadre des projets soutenus,
  • indirectes : liées à l’achat de biens et aux services effectués par les entreprises réalisant les travaux, ainsi qu’aux dépenses indirectes d’achat de biens, de services effectués et de matériels utilisés par la Fondation du patrimoine,
  • induites : salaires versés par les entreprises réalisant les travaux et par la Fondation du patrimoine qui sont réinjectés dans l’économie par la consommation des salariés, revenus générés par l’exploitation des sites et les dépenses des visiteurs consécutives aux travaux réalisés et salaires versés par les acteurs économiques, issus de l’exploitation et des retombées touristiques et qui sont à leur tour, réintroduits dans l’économie.

Des études nationales estiment les retombées économiques liées au tourisme culturel à 15 milliards d’euros.

Il faut rappeler que la culture et le patrimoine français sont le premier facteur d’attractivité touristique de la France et que le secteur du tourisme est stratégique pour l’économie nationale, représentant environ 7,5% du PIB français et totalisant près de 2 millions d’emplois sur le territoire.

En effet, l’étude menée par la Fondation du patrimoine a aussi permis de souligner l’importance du patrimoine dans le maintien et la création d’emplois. Grâce aux chantiers de restauration, à la valorisation ultérieure des sites et aux créations d’activités aux alentours, ce sont plus de 15 000 emplois par an, non délocalisables, qui sont créés ou maintenus grâce à l’action de la Fondation. Des études nationales estiment que le patrimoine représente autour de 500 000 emplois au total.

80% des projets soutenus par la Fondation sont situés sur des communes rurales. Les retombées sont-elles aussi importantes, plus importantes ? Contribuent-ils à réduire les fractures territoriales ?

Les retombées des projets soutenus sont souvent plus importantes en montant en zones d’attractivité touristique, car le maillage économique y est plus dense, mais sont plus importantes symboliquement et en termes de redynamisation territoriale pour les communes rurales.

En effet, en milieu rural, le patrimoine revêt une importance symbolique particulière pouvant porter toute la fierté et le sentiment d’appartenance à la communauté locale et nationale, mais également économique car parfois seul facteur d’attractivité touristique du territoire.

La Fondation du patrimoine est particulièrement attachée à la réhabilitation du patrimoine non protégé au titre des monuments historiques. Le soutien à ce patrimoine doit également être appréhendé sous l’angle du symbole : c’est en effet reconnaître aux habitants leur capacité à dire ce qui fait leur identité, ce qui relève du bien collectif et mérite d’être préservé. C’est en ce sens valoriser leur histoire et encourager la sensibilisation et la transmission auprès des nouvelles générations (ou des habitants les plus récents). La mobilisation de nombreux acteurs locaux autour des différents projets soutenus par la Fondation témoigne par ailleurs de la capacité du patrimoine à être un levier d’engagement citoyen collectif.

L’étude sur l’empreinte socio-économique de la Fondation de 2019 a analysé différents projets de restauration du patrimoine et a également montré, de manière transversale, une fonction sociale et sociétale des sites ouverts (partiellement ou entièrement) au public, réappropriés par les acteurs locaux qui s’en emparent pour des événements spécifiques, publics comme privés. Ces espaces deviennent ainsi des lieux de rencontre collectifs et d’initiatives innovantes, portées par les habitants eux-mêmes.

La rénovation du patrimoine peut aussi jouer un rôle de déclencheur et encourager des projets de réhabilitation importants qui participent à l’amélioration du cadre de vie, facteur d’attractivité résidentielle et de revalorisation des territoires.

Ex. : rénovation du fort villageois de la Sauvetat (Puy-de-Dôme) : projets d’embellissement sur près de 15 ans, qui ont offert au village de 716 habitants un tout nouveau visage, avec réhabilitation des bâtiments et rues au service d’un cadre de vie amélioré, facteur d’attractivité résidentielle. La Sauvetat a ainsi connu une hausse de sa population de plus de 10 % en un an. Les commerces bénéficient également de cette augmentation du nombre d’habitants et de la nouvelle attractivité touristique du village : > extrait d’entretien avec un établissement de l’hôtellerie-restauration sur le village fortifié de la Sauvetat : « Le fort et le restaurant ont désormais une double page côte à côte dans le Guide du Routard. Cela montre que l’attractivité du village a augmenté et cela contribue directement à notre chiffre d’affaires. 30 à 50 % de notre chiffre d’affaires est alimenté par le tourisme et la visite du fort villageois. Les grands évènements permettent également d’alimenter notre commerce comme le marché de Noël ou la brocante qui attirent chaque année encore plus de monde, en partie grâce à la rénovation du fort.»  

Les grands patrimoines nécessitant d’importantes restaurations sont-ils, notamment en ruralité, en panne de modèle ?

Les grands patrimoines en zones rurales souffrent davantage de l’usure du temps que ceux en zones urbaines car il est plus difficile d’engager de grands programmes en région par manque de financement mais surtout de projet d’usage futur qui permettrait d’assurer son entretien et fonctionnement par la suite.

En effet, si en zone urbaine il est souvent possible de développer une offre d’hébergement touristique ou résidentiel, d’autres usages doivent être inventés en région car les besoins et attentes ne sont pas les mêmes, la fréquentation ne pourra être la même et donc les retombées économiques directes permettant entretien futur du site et prise en charge de coûts de fonctionnement d’un nouvel équipement non assurées. Des études de marché et de faisabilité de projets de réhabilitation de grands patrimoines s’avèrent souvent indispensables pour bien orienter les communes qui sont souvent dépositaires de ces grands sites, mais elles n’ont pas l’ingénierie requise pour se lancer dans ces démarches complexes et onéreuses. Les modèles sont donc à trouver auprès d’autres collectivités rurales qui se sont lancées dans des programmes ambitieux, avec l’appui d’experts (AMO, CAUE, ANCT, etc.).

A noter qu’en terme de technique de restauration, les grands patrimoines plus urbains servent évidemment de modèle à la restauration de ceux en milieu rural : des innovations mises en œuvre pour la restauration et la sécurité incendie de Notre-Dame de Paris par exemple serviront à d’autres édifices sur l’ensemble du territoire national pour assurer leur bonne conservation.

La Fondation a-t-elle dans ses missions d’inventer des modèles pérennes de restauration au service des territoires et qui ne reposent pas principalement sur des subventions publiques ?

La Fondation du patrimoine a toujours essayé d’innover pour aider les propriétaires publics et privés de patrimoine à réhabiliter leur patrimoine. Elle a notamment inventé le « crowdfunding » en faveur de la restauration du patrimoine : mode d’action privilégié de la Fondation depuis plus de 20 ans, le mécénat populaire ou financement participatif au travers de collectes de dons, aide à compléter les tours de table pour financer un projet de restauration. Les dons et mécénats collectés viennent généralement en complément de subventions publiques (DRAC pour les MH, conseils régionaux et départementaux, intercommunalités…), mais s’avèrent souvent cruciaux pour déclencher l’engagement des collectivités et lancer les travaux, en particulier pour le patrimoine non protégé au titre des MH. En effet, au-delà des fonds mobilisés, les animations organisées à l’occasion des campagnes de dons sont l’occasion de réunir et de fédérer les communautés : habitants, touristes, acteurs économiques locaux, etc. L’attachement à ce patrimoine témoigné par tous permet de convaincre des collectivités publiques, mécènes et grands donateurs de s’engager financièrement aux côtés des populations en attente d’un soutien et assure la présence d’une communauté qui s’attachera à l’usage et l’entretien futur du site.

Votre rôle est-il également de créer de meilleures synergies entre monde économique, acteurs sociaux, acteurs culturels et grands patrimoines ?

La Fondation du patrimoine, par ses différents modes d’intervention, agit comme un facilitateur de projets collectifs et contribue à réunir autour des projets qu’elle soutient, et de leurs porteurs, l’ensemble des acteurs économiques, culturels et sociaux. Ses relations étroites avec les acteurs experts de la préservation du patrimoine (DRAC, ABF, etc.) permet d’assurer la qualité des travaux engagés, ses partenariats avec les collectivités publiques du territoire permettent de débloquer des aides financières et son expérience en levée de fonds auprès de donateurs et mécènes de boucler les tours de table financiers en appuyant les points forts et l’impact des projets. En réunissant ces acteurs autour d’un projet, cela permet également d’améliorer les projets d’usage envisagés, chacun contribuant à faire connaître les besoins et attentes du territoire pour que le projet y réponde le mieux.

Par ailleurs, grâce à son action dans les territoires depuis plus de 25 ans, la Fondation du patrimoine a soutenu 1 projet tous les 5 km, ce qui contribue à créer un réseau de sites patrimoniaux dans une même zone géographique, ce qui est devenu clé, en particulier en zones rurales, pour accroître leur notoriété et leur attractivité, voire pour optimiser leur gestion via la mutualisation des ressources et des compétences (logique d’économie d’échelle).

Un rôle de la Fondation du patrimoine facilité par sa structuration particulière, avec des délégations dans chaque région et chaque département de métropole et d’outre-mer, avec un réseau de plus de 1 000 bénévoles sur l’ensemble du territoire national, au plus près des porteurs de projet et des acteurs de la sauvegarde et de la valorisation du patrimoine locaux, et connaissant ainsi bien les besoins spécifiques des populations, des porteurs de projet et des financeurs de leur territoire.