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Historien et médiateur culturel de formation, Florent Godelaine est adjoint au directeur de trois sites formant les Abbayes du Sud Vendée dont les plus connues, celles de Maillezais et de Nieul-sur-l’Autise. L’histoire de ces abbayes et du Marais poitevin, dont elles sont géographiquement à la lisière, est intimement liée depuis des siècles et jusqu’à aujourd’hui. Les abbayes et le Marais restent les marqueurs emblématiques et complémentaires du territoire. Dans cet entretien, Florent Godelaine nous entraîne dans une navigation au fil des siècles avec des abbayes qui ont donné une impulsion initiale au développement du territoire et assumé un rôle où intérêt général et retour sur investissement pour les abbayes allaient de pair, ce qui explique peut-être cette dynamique qui perdure aujourd’hui…
Ce sont cinq abbayes qui vont s’associer pour créer le Canal des Cinq Abbés au début du XIIIe siècle. De manière traditionnelle, ce sont les communautés cisterciennes qui géraient ce qui relevait de la déforestation et de l’assèchement des marais mais après la période des invasions vikings, ces abbayes bénédictine et augustine ont répondu à la volonté du comte de Poitiers d’occuper le territoire, de veiller. Le marais, en soi, n’avait pas de valeur mais ces abbayes voyaient le potentiel qu’elles pouvaient en tirer. Par ailleurs, à une époque où le culte des reliques était un puissant moyen de communication, de nombreux croyants se rendaient à l’abbaye de Maillezais qui se trouvait sur le chemin secondaire de Saint-Jacques-de-Compostelle. Autrement dit, il y avait à la fois cette volonté d’occuper le territoire, de développer le rayonnement de l’abbaye notamment dans l’afflux des pèlerins. L’aménagement du marais répond à ces objectifs. Avec le développement de cette renommée – on sait que le roi de France y est venu en 1270 – il faudra par la suite faire venir des matériaux d’autres territoires, comme l’ardoise venue d’Anjou, pour poursuivre l’édification de l’abbaye de Maillezais. Le meilleur moyen de transport était l’eau et la maîtrise de sa circulation.
Il y avait aussi une autre raison : l’augmentation de la population française au XIIIe siècle poussait à augmenter la superficie des terres cultivables et la qualité des récoltes pour diminuer les risques de famines, particulièrement dans ces zones de marais saumâtres (moustiques, maladies…). Les canaux ont donc été construits pour des raisons philanthropiques, économiques, agricoles, sanitaires. Ces travaux agissent aussi pour les communautés comme retour sur investissement avec le transport par l’océan des matériaux de construction, du bois, mais aussi du poisson et enfin de l’or blanc que représentait à l’époque le sel. Maillezais va disposer d’un certain nombre de salines (une soixantaine) dans le marais. Ce dispositif permet à l’abbaye d’entreposer le sel in situ. Et évidemment, il y aura des taxes… A l’époque médiévale, les seigneurs et les abbayes occupent le domaine public fluvial qui théoriquement doit relever de l’Etat – en construction – et en usurpent les droits.
Les motivations relevaient donc de l’intérêt général et d’un intérêt plus particulier pour les abbayes. Cela dit, au XIIIe siècle, pour assécher les marais – il n’y a d’ailleurs plus aucune trace aujourd’hui de ce chantier monastique hormis le Canal des Cinq Abbés – il fallait avoir une autorisation. La seule personne qui pouvait la donner était le seigneur qui, en offrant une partie des terres aux Abbayes – des terres marécageuses qui ne valaient rien (4) – en attendait une contrepartie spirituelle : la prière des moines pour son salut et financière : un cens …
Bien sûr les moines de chœur ont veillé au chantier qui a été assuré par des moines convers mais également les habitants des communes (les archives manquent à ce sujet). Il y a donc toute une toile de fond de missions et d’intérêts qui explique le rôle des abbayes du Marais poitevin.
Le chantier monastique commence au XIIIè et XIVè siècle, puis il la guerre de Cent Ans ruine ce qui avait été entrepris. Cela étant, au XVIe siècle, François 1er, s’intéresse à l’hydrographie et aux voies fluviales. Henri de Navarre devenu Henri IV encourage la reprise des travaux médiévaux pour étendre les communications entre les provinces. En effet, lors des guerres de religion, alors qu’il est encore roi de Navarre, constate l’intérêt économique de cette zone. Militaire, il constate qu’une zone de marais, est une zone de refuge pour des troupes ennemies. Il engage l’assèchement des marais du royaume à des fins économiques et stratégiques. Il envisage les connexions entre les zones humides et les bassins fluviaux. Dans cette idée, il entend désenclaver Paris, qui lors des guerres de Religion était isolée. Avec son ministre, le duc de Sully, il engage la création du canal de Briare, de façon à relier le bassin de la Loire à celui de la Seine. Au XVIIe siècle, ils envisagent de relier les bassins fluviaux aux zones humides avec, à nouveau, de gros travaux d’assèchement des marais. Enfin, Napoléon 1er engage dans les années 1800-1810, un programme qui va véritablement marquer le territoire du Marais Poitevin. Entre le XVIIe et le XIXe siècle, l’État va récupérer des zones qui lui ont échappé pendant des siècles. Il reconquiert ces espaces pied à pied aux villes, aux nobles, aux abbayes, usurpateurs des droits qu’ils n’avaient pas à prendre. Au XVIIe siècle, il y aura l’ordonnance des eaux et forêts (1669), à l’initiative de Louis XIV et de Colbert, et ce sera le socle de l’affirmation de l’État. Le domaine public fluvial est né.
Les abbayes ont toujours eu un rôle de développement territorial. Elles occupent le territoire, groupant des habitats autour, avec cette idée d’être des sentinelles, des vigies, de ne pas laisser des territoires vides ou des couloirs pour des invasions. D’ailleurs, l’abbaye de Maillezais est sur un éperon rocheux, ce qui symboliquement la rend plus proche de Dieu, bien évidemment, mais aussi pour être plus proche des carrières de pierre et être vue de loin par les pèlerins qui savaient alors vers où se diriger.
Aujourd’hui, les opérateurs du tourisme mettent en avant les Abbayes du sud Vendée (Nieul et Maillezais), qui continuent à drainer des visiteurs. Le marais reste difficile à franchir, donc le rôle de sentinelle, de présence forte sur le territoire des deux abbayes est toujours une réalité. Pendant le confinement, des citadins sont venus vivre à proximité. On parle de « Destination Marais poitevin » et abbayes et marais sont indissociables. Ces deux cartes touristiques drainent de manière vertueuse et réciproque les visiteurs. Maillezais, avec son ouverture au public de début mars à fin novembre et le marché de Noël, c’est 100 000 visiteurs par an. Nieul-sur-l’Autise, c’est 20 à 25 000 visiteurs par an. Les gens viennent découvrir Maillezais qui est devenu un évêché en 1317. Bien que le site soit en ruine, sa grande renommée la rend toujours visible ; Nieul, pourtant abbaye royale, est un peu plus discrète et cela correspond à ce qu’elle a toujours été. Maillezais bénéficiait de l’afflux de pèlerins suscité à l’époque des reliques. Les visiteurs se placent implicitement dans les pas de ceux qui les ont précédés (les pèlerins). Le plan de communication lancé il y a sept siècles fonctionnent toujours ! Leur portée reste inscrite dans le territoire dans un rôle désormais essentiellement touristique et patrimonial.
Dans l’une et l’autre des abbayes il n’y a plus de moines depuis près de 300 ans, ce qui en faisait deux sites sans vie. Dans les années 60, le Département de la Vendée acquiert l’abbaye de Nieul-sur-l’Autise et à la fin des années 90, l’abbaye de Maillezais. Dans le contexte d’un département faiblement industriel, essentiellement agricole et surtout balnéaire, la volonté des élus était de miser sur ces sites patrimoniaux pour développer le tourisme culturel de façon à encourager une nouvelle activité économique et à ancrer les visiteurs sur le territoire, les engager à revenir. Aujourd’hui, la volonté est de maintenir l’état de ce patrimoine et d’organiser des événements phares, de qualité pour conserver l’attractivité du département.
Propos recueillis par Nathalie Cuvelier