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Marie-Claudine Debuire était une figure de la renaissance de la Chartreuse de Neuville. Sa soudaine disparition nous a laissés sans voix, avec le souvenir d’une grande dame, à la fois discrète et toujours présente, notamment dans les moments difficiles…
Depuis sa retraite en 2008, Marie-Claudine Debuire avait pris de nombreux engagements bénévoles, notamment la présidence du conseil d’administration d’un Ehpad à Fruges. Administratrice de la Chartreuse de Neuville dès la première heure, secrétaire du Bureau, elle avait quitté cette fonction mais restait disponible et mobilisée dès que nécessaire. Marie-Claudine a eu une vie professionnelle très riche, et elle a toujours été soucieuse d’y donner un sens, surtout lorsqu’elle a dû mettre en œuvre des directives difficiles. Dans les années 70, elle a rejoint la Direction du personnel chez Arc International, notamment pour lancer un programme de construction permettant aux salariés de se rapprocher de leur lieu de travail dans de bonnes conditions financières. Puis à partir des années 90, elle a été Directrice des ressources humaines avec 150 personnes sous sa responsabilité et une fonction en pleine mutation pour davantage prendre en compte la responsabilité sociale de l’entreprise. Depuis son départ du monde professionnel, elle avait souhaité mettre ses compétences et sa réflexion au service des autres et elle était « tombée en Chartreuse », selon sa propre expression. Ce témoignage a été recueilli quelques mois avant sa soudaine disparition …
J’avais confié à Yves Ducrocq* que je craignais de m’ennuyer à la retraite et que s’il entendait parler de quelque chose d’intéressant, j’étais partante. Il m’a recontactée quelque temps après pour rejoindre le projet de la Chartreuse, ce que j’ai fait en 2009. Comme j’aime le dire, je suis tombée en Chartreuse à partir de là. Mon engagement de départ n’était pas lié au lieu en lui-même mais plutôt au thème « l’homme et l’économie », qui était au centre des réflexions du groupe à l’origine du projet.
J’ai eu la chance de travailler avec Jacques Durand, le patron d’Arc International, à une période où Arc embauchait et ou le service des ressources humaines se développait. Il m’a donc permis de donner beaucoup de place à une politique sociale, au travers notamment de deux projets passionnants. D’abord, la mise en place dans les années 90 d’un atelier protégé qui associait une trentaine de collaborateurs dans l’objectif d’intégrer des personnes en situation de handicap dans l’entreprise. Ensuite, la mise en place d’un atelier d’insertion pour des jeunes sortis du système scolaire et souvent du système familial afin de les remettre dans un cadre professionnel tout en leur faisant passer un diplôme de magasinier, cariste ou de chaudronnier. C’était une vraie volonté de Jacques Durand** qui a su mobiliser des financements pour l’ouverture de ces deux ateliers. J’ai vu quelque chose d’extraordinaire, la fierté de ces personnes à recevoir leur première paie dans le cadre de ces programmes d’insertion par le travail.
Qu’il faut donner à ces personnes le temps de s’adapter, qu’il faut permettre aux jeunes qui débutent de commettre des erreurs pour apprendre. On leur a ouvert des possibles qu’ils n’avaient même pas osé envisager et j’en ai tiré de la fierté. L’entreprise n’a été en aucun cas pénalisée car nous avions pris le temps de leur apprendre à faire ce qui était attendu d’eux sur le poste de travail. Cela a été une leçon professionnelle essentielle. Nous avons d’ailleurs continué plusieurs années, en essayant ensuite de trouver une solution à l’extérieur car on savait que l’entreprise rencontrait des difficultés. J’avais fait le premier plan de sauvegarde à l’époque et nous voulions essayer de préserver ces dispositifs d’insertion. Nous avons ce qui était nécessaire pour les pérenniser et les deux ateliers ont été repris par des organismes du territoire que j’ai suivis un temps pour assurer la continuité de ce qui avait été mis en place. J’ai vraiment vécu des heures très heureuses à Arc International avec ces actions.
Oui, j’ai dû mener le plan de sauvegarde de l’emploi qui, de 2004 à 2008, devait faire passer les effectifs d’Arques de 11000 à 8500 personnes. Nous l’avons mené au mieux, non sans difficultés humaines pour les salariés et nous-mêmes qui le mettions en œuvre. Mais nous avons obtenu une pré retraite de l’État pour une partie des salariés et ce sont les actionnaires familiaux qui ont également financé ce plan. Le reste s’est fait sur du volontariat au travers de départs indemnisés. Je pense que nous avons mené ce plan le plus humainement possible, grâce aux actionnaires, et en le menant en proximité et pas depuis un bureau à Paris ou ailleurs…
Dans les réflexions initiales du projet, j’avais à l’esprit des jeunes qui travaillaient à l’époque dans des banques et à qui on fixait des objectifs inatteignables. On commençait à parler des premiers burn-out. La réflexion sur l’homme en lien avec l’économie, c’était pour moi aussi bien pour les personnes éloignées de l’emploi que pour des jeunes qui démarrent dans la vie active et s’interrogent déjà sur son sens. On ne peut pas avancer professionnellement sans trouver un sens à ce qui est fait, et ce n’est pas évident. J’ai moi-même été confrontée à cela et j’ai trouvé un sens à ce plan de sauvegarde en défendant au mieux les gens, tout en menant le plan à terme avec l’objectif de départ. Clairement, je n’aurais pas pu le mener, si je n’y avais pas trouvé un sens, en tout cas dans la manière de le présenter aux personnes concernées. Après ce premier plan de sauvegarde, il me semblait important de réfléchir à un système qui ne presse pas les gens comme des éponges pour les jeter éventuellement.
Les Rencontres Improbables… sans hésiter. Et j’en ai faites avec, d’un côté, les Journées hospitalières qui réunissaient les anciens résidents et personnels de l’hospice asile et, de l’autre côté, la rencontre avec Hilde et Klaus de Schwab, à l’origine du Forum de Davos. Ce sont des gens, très éloignés les uns des autres, que je n’aurais pas croisés en dehors de la Chartreuse. J’ai peut-être un autre mot qui caractérise la Chartreuse, c’est la résilience. Nous avons été de nombreuses fois en grosses difficultés, sur des problèmes financiers essentiellement, et nous avons rebondi à chaque fois. Avec Alexia***, on disait « c’est normal, c’est la Chartreuse », comme si la résilience était une composante du projet.
Le cloître… Surtout quand on s’y retrouve seul. Un jour, j’y étais avec Alexia Noyon et les jeux du soleil ont fait qu’à travers les vitraux, tout au bout, nous avons eu l’impression qu’on voyait passer des moines… C’était saisissant !
A un moment, nous étions beaucoup dans le conceptuel et je voulais que l’on revienne un peu les pieds sur terre. Et puis on a tellement été pris par les problèmes financiers, la recherche de fonds, de mécènes, de rendez-vous avec les politiques… je me sentais parfois loin du sujet pour lequel je m’étais impliquée. Et puis, je me suis dit que l’on y arriverait bien un jour et on y est arrivé, je pense, notamment avec la formation Traces d’avenir, qui avait pour objectif de remobiliser des personnes en situation d’illettrisme.
Il y en a tellement… Je dirais, tout récemment, l’exposition de photos des anciens résidents de l’hospice asile. Les photos m’ont marquée et, comme je vous l’ai dit, j’ai rencontré une bonne partie de ces résidents lors des journées hospitalières. Je suis sensible à ce qu’ils ont vécu dans cet hospice, un sentiment d’appartenance. En tant que présidente d’un Ehpad, je m’interroge sur le sentiment d’utilité et le maintien de la raison de vivre des résidents. Aujourd’hui, pour des raisons règlementaires, on ne peut pas reproduire certaines choses de la période de l’hospice asile mais que trouver d’autre pour animer ces Ehpad, remettre de la vie ? Ces questions m’intéressent et je n’ai pas encore trouvé d’idées novatrices sur ce sujet. Il faut dire aussi que les résidents sont de plus en plus âgés et lourdement dépendants…
De la joie ! Et un sentiment d’utilité, ce sentiment que j’aimerais tant redonner aux résidents de l’Ehpad. Mes compétences juridiques et de management ont pu être mises à profit et cela m’a vraiment procuré de la satisfaction. C’est une grande question des retraités : comment être utile et comment faire encore bénéficier les autres de ses compétences ?
J’imagine que les travaux sont terminés ! Enfin ! J’aimerais voir comment l’hôtellerie fonctionne et, surtout, voir une belle coexistence entre cette offre hôtelière d’une société privée et le reste, toutes les activités de l’association et notamment l’axe aide aux aidants. Et j’imagine le parc, à l’arrière du monastère, auquel le grand public ne peut pas aujourd’hui accéder, aménagé pour pouvoir flâner, rêver, penser…
Je suis fière des engagements que j’ai pris, que ce soit dans mon travail, dans ma famille ou à titre bénévole. Le fait d’être tournée vers les autres et le service aux autres… C’est cela le bénévolat et il est un peu en souffrance depuis la crise sanitaire. Moi-même, j’ai 74 ans et ce n’est pas que je souhaite abandonner tous mes mandats mais, sur l’Ehpad par exemple, avec des travaux engagés sur au moins cinq ans et vraiment beaucoup de temps passé sur les dossiers, j’aimerais à terme trouver quelqu’un pour me remplacer. Après cette crise sanitaire, il faut à nouveau s’ouvrir aux autres…
Cette ouverture aux autres, Marie-Claudine l’a cultivée jusqu’à ces derniers jours, avec la simplicité que tous lui connaissaient. Une grande dame nous a quittés…
Propos recueillis par Nathalie Cuvelier
*Initiateur et premier président de l’association de la Chartreuse de Neuville
**Jacques Durand a passé toute sa carrière au sein de la société familiale de production et de distribution de produits des arts de la table Arc International. Il a contribué fortement à l’expansion de l’entreprise à l’échelle mondiale, en faisant passer son effectif de 250 salariés à près de 12 000 et en automatisant la production par l’intermédiaire de machines qu’il a lui-même ramené des Etats-Unis. Il est décédé en 1997.
*** Directrice de l’association de la Chartreuse de Neuville