La mission de la Chartreuse de Neuville est d’œuvrer à une société plus inclusive et confiante en l’avenir et de permettre à chacun d’y entreprendre et d’y trouver sa place. En résonance avec cette mission et avec l’histoire du lieu, la place des personnes fragilisées est un enjeu majeur et la Chartreuse de Neuville en fait un axe de développement, avec la création d’un lieu ressource atypique pour ces personnes et ceux qui les aident au quotidien, proches, professionnels, bénévoles d’associations. Elle s’appuie pour cela sur les dispositifs existants sur le territoire pour expérimenter une offre complémentaire. Par ailleurs, dans le cadre de ses Rencontres annuelles 2021, « Aidant, entre subir et choisir ? », elle interroge des acteurs qui œuvrent dans le champ de l’accompagnement des fragilités et contribuent à cette société plus accueillante de la diversité des parcours de vie. Découvrez ces témoignages…

Alice Steenhouwer

Avec Nos Proches, du lien et du soutien dans l’écoute

Appelez-nous, nous sommes passés par là”, c’est vraiment la phrase résumant au mieux l’objectif d’Avec Nos Proches, l’association qui propose une ligne d’écoute, de partage d’expériences et d’information entre aidants : à un bout de la ligne d’anciens aidants écoutants, de l’autre, des appelants avec une demande spécifique ou le simple besoin de parler et d’être entendu. « C’est la légèreté du dispositif qui en fait sa singularité », précise la directrice, Alice Steenhouwer. Témoignage…

Au bout du fil se trouve une personne qui comprend…

Avec 62 écoutants bénévoles joignables tous les jours de 8h à 22h et 3 445 appels reçus en 2020 (2 200 en 2019), Avec Nos Proches lève certains des freins rencontrés par les aidants dans l’expression de leur vécu et de leurs besoins. « Beaucoup sont trop loin ou ont des difficultés de déplacement pour se rendre sur un lieu d’écoute avec des horaires qui peuvent être une contrainte de plus dans un quotidien déjà compliqué. » Avec cette ligne téléphonique, l’aidant appelle au bon moment pour lui, dans le confort d’une conversation anonyme, notamment lors d’un premier appel. « Avec Nos Proches, c’est l’écoute avant tout », insiste Alice qui ajoute « même si l’aidant appelle avec une demande spécifique, elle cache le plus souvent un besoin d’écoute et de dialogue ». L’appelant est en majorité une femme active, entre 45 et 65 ans, qui accompagne un parent âgé.

Bénéfices et écueils

Alice explique les bénéfices de cette écoute entre aidants : « Au bout du fil se trouve une personne qui comprend, de par ce qu’elle a vécu, et ne juge pas. Je suis une jeune maman et l’entre parents m’apporte beaucoup ; je vais davantage écouter un parent qui a vécu des difficultés similaires qu’un médecin. Ce côté « tous dans la même galère » créé du lien dans l’écoute. » Alice exprime également tous les écueils à éviter et l’attention portée à la formation et au suivi des bénévoles. « Nos écoutants restent des bénévoles qui ne doivent pas outre passer leur rôle. Ils sont formés pour savoir rester à leur place et, après l’écoute et l’échange, orienter si nécessaire vers les professionnels. L’entre pair permet une forme d’expression unique mais qui a ses règles. » L’écoutant n’a pas toutes les réponses, bien au contraire. S’il est « passé par là », chaque situation reste singulière. Pour éviter une écoute trop émotionnelle, l’association fait passer deux entretiens préalables aux écoutants et ne retient que ceux qui ont plus d’une année de recul par rapport à leur expérience d’aidant. « Le suivi est important car, même avec le recul, devenir écoutant est toujours un peu thérapeutique », reconnaît Alice.

Entre simplicité et service plus individualisé

A ce jour, l’anonymat des appels est une force du dispositif mais aussi une limitation dans les réponses possibles aux demandes d’information des aidants. Au-delà de l’écoute, l’association souhaiterait pouvoir informer et orienter de manière plus individualisée, en fonction des territoires. Elle a développé son ancrage territorial sur l’Île de France et les Hauts-de-France et mis en place un numéro unique* sur tout le Pas-de-Calais mais pour aller plus loin, cela nécessiterait de récupérer des informations personnelles sur les appelants et de lever ainsi une partie de l’anonymat. « Nous prenons le temps d’y réfléchir », précise Alice, bien consciente que tout ce qui constitue un frein, et il en existe déjà suffisamment, peut bloquer l’impulsion d’un premier appel. Or, on le sait, l’aidant met toujours du temps, souvent trop de temps, pour aller chercher de l’écoute et de l’aide. C’est parce qu’Avec nos proches a su proposer un dispositif simple que l’association est devenue un acteur à suivre de l’aide aux aidants. Dans ses toutes dernières initiatives, des ateliers téléphoniques thématiques ont été mis en place, leur pertinence renforcée par la crise sanitaire, source supplémentaire de risque d’isolement pour les personnes fragiles et leurs proches.

Propos recueillis par N. Cuvelier

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En savoir plus sur l’association : https://www.avecnosproches.com

Le programme des ateliers thématiques et les différents documents de sensibilisation sont en ligne sur le site.

*Le numéro unique pour le Pas-de-Calais est le 03 21 21 69 99

Melody Bonny

Écouter ce que les proches aidants ont à nous dire…

« La clé, c’est l’écoute et le temps… » Psychologue, investie dans l’accompagnement de proches aidants depuis 2014, Melody Bonny écoute et prend le temps. Elle est partie de son expérience pour proposer depuis 2018 sur le boulonnais, au sein d’une plateforme territoriale d’aide aux aidants, un dispositif de suivi psycho-social individuel à destination des proches aidants. Elle nous apporte un éclairage sur ce parent, ce conjoint, cet enfant, qui accompagne leur proche dans un « élan naturel », sans avoir le sentiment d’endosser un rôle ou une responsabilité…

Pour beaucoup, c’est un devoir que d’aider

« Aidant, c’est un mot que je n’aime pas, qui réduit la personne à ce rôle, alors même que cette personne doit continuer à exister pour elle-même, à côté de ce rôle qui consiste à apporter son concours à un proche, à l’accompagner. A trop mettre ce terme en avant, le risque est d’effacer la diversité des personnes et la singularité de chaque situation de vie. » De quoi et de qui parle-t-on finalement ? S’ils sont entre 8 et 11 millions, c’est bien le caractère informel de cette aide, apportée de manières très diverses, qui les rend si difficiles à toucher. « C’est un peu un mot concept proposé par la société mais, en les nommant, un coup de projecteur a été mis sur les difficultés, et la souffrance parfois, de ces personnes et des professionnels qui gravitent autour d’eux. » 

Un rôle surinvesti…

Melody constate que si l’entourage au sens large perçoit cette mobilisation autour des aidants, c’est encore trop rarement le cas de l’aidant lui-même.« J’entends souvent « je ne me suis pas posé de questions, je devais le faire » … Pour beaucoup, c’est un devoir que d’aider, qui répond à une injonction familiale, au travers d’une histoire personnelle et de relations spécifiques, mais aussi culturelle parce qu’il est de coutume de s’occuper des siens. » On n’a jamais autant parlé des aidants, et pourtant, ils ne sont pas davantage prêts à se dire aidants, un paradoxe sur lequel Melody insiste. « Les personnes concernées continent à ne pas vouloir en parler. Ils veulent se débrouiller et nombreux sont convaincus qu’ils vont y arriver par eux-mêmes, seuls. » Avec trop souvent comme conséquences des maladresses bien involontaires et des situations d’épuisement et d’isolement, constatées par les médecins, et révélées aussi par la crise sanitaire. « Trop d’entre eux surinvestissent ce rôle pour pallier la perte d’autonomie de leur proche. Ce surinvestissement est particulièrement dommageable et risqué pour les personnes âgées qui entrent doucement dans cet accompagnement de la perte d’autonomie, s’y habituent et appellent à l’aide quand la dépendance du proche est déjà bien installée, lourde à assumer et de nombreuses habitudes prises. » Dans le cas d’un accident, d’une maladie, l’irruption est plus brutale et peut porter à mettre en place un accompagnement et des aides sans tarder, au début du parcours de soins, ce qui est une bonne chose. Les aidants qui viennent spontanément vers un groupe de parole, ou pour un suivi individuel, ont besoin de dire leurs difficultés au quotidien et le poids ressenti sur leurs épaules. Ils sont dans un besoin d’exprimer un trop c’est trop et la démarche vient d’eux. Melody le précise : « faire de la prévention n’est pas évident, l’histoire familiale peut bloquer à la fois l’écoute et la compréhension de la situation ». Et à ce stade l’aidant pense vraiment y arriver par lui-même…

« Et moi, dans tout ça… »

En tant que psychologue, le rôle de Melody auprès des aidants est de bien les entendre, de faciliter l’expression en accompagnant leur parole, de délier un peu le nœud des difficultés, d’éclairer l’ambivalence des sentiments et d’envisager d’autres réponses… « Je rencontre majoritairement des femmes. Souvent la relation entre l’aidant et l’aider est forte, elle s’est quelque part comme rigidifiée avec le temps.

Mon travail s’effectue avec la personne et nous cherchons ensemble, entre autres, comment assouplir ce qui s’est figé dans la relation.  Bien sûr, c’est aussi faire le lien avec les parties prenantes et partenaires de la plateforme territoriale d’aide aux aidants. » Les questions des aidants les plus communes sont simples et essentielles : « je communique comment avec mon proche ?», « je peux plus, je fais plus que ça !», « et moi dans tout ça ?» … Et Melody est là pour rebondir, interpeller, sans jamais court-circuiter la parole : « et oui et vous ? Dites-moi» … « Je prends l’aidant où il est, à son rythme. Je n’ai pas d’attente, je laisse venir, sortir… Il faut écouter ce que les gens ont à nous dire, il y a quelque chose qui se joue entre les professionnels, les « supposés sachants » et la personne qui fait juste son devoir. La clé, c’est l’écoute et le temps. Ne pas arriver avec des phrases toutes faites. Il y a des détours à faire et je prends les chemins de traverse nécessaires avec la personne. »

A l’écoute du petit déclic…

Lorsqu’elle rencontre pour la première fois des personnes orientées par des partenaires du secteur médico-social, elle entend de temps à autre des aidants lui dire « mais je ne sais même pas ce que vous faites là, Madame », comme si le fait de leur proposer un espace pour entendre quelque chose de leur quotidien d’aidant, de leur souffrance ou de l’amour pour leur proche, était inattendu et déroutant au départ… Quand la personne n’existe plus qu’à travers la relation d’aide, c’est qu’elle s’est oubliée en chemin. Pour l’aider à prendre un peu de recul, à faire un pas de côté, découvrir ce qu’elle aime encore faire, ce qui peut lui procurer du plaisir, c’est un patient travail d’écoute. « Il peut se passer des mois avant qu’une personne me confie « je peux passer des heures dans ma cuisine, j’y prends du plaisir » et que je puisse aller à sa rencontre, « ah, ça vous fait plaisir… et que pourriez-vous me dire de ce plaisir… ». Trouver la personne à l’intérieur, cachée par l’aidant fatigué, la personne qui aime écrire, chanter, jardiner, voir la mer… trouver ce qui fait encore briller l’œil. Quand Melody arrive à ce petit déclic pour mettre éventuellement la personne en mouvement, « c’est assez magique », confie-t-elle… Et c’est une question d’écoute et de temps.

Propos recueillis par N. Cuvelier

Pour mieux comprendre les émotions des proches aidants et des soignants, nous vous recommandons le livre d’Hélène Viennet, “A l’écoute des proches aidants”, aux éditions Seli Arslan. En savoir plus…

Vous pouvez aussi l’écouter ici…

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Lien vers l’annuaire des plateformes d’accompagnement et de répit des Hauts-de-France :

https://www.soutenirlesaidants.fr/annuaire-plateforme/

Lien vers le site d’information et de ressources du Département du Pas-de-Calais :

https://wikisol62.pasdecalais.fr/jcms/j_6/accueil

Café des aidants sur le boulonnais : information au 06 51 22 50 06 ou en écrivant à cafedesaidantsboulonnais@gmail.com

Maison des aidants de Boulogne-sur-Mer : information au 03 91 18 68 28

Se renseigner sur le suivi psycho-social individuel, accompagnement individuel, gratuit, au domicile ou à proximité du domicile, en visiophonie ou par téléphone : mbonnypsychologue@gmail.com

Découvrir aussi « Avec Nos Proches », une ligne téléphonique d’écoute, de partage d’expériences et d’information entre aidants. Lire l’interview d’Alice Steenhouwer, directrice d’Avec Nos Porches.

Isabelle Gosset

« Enfin, François, tu as Alzheimer ou quoi ! »

… Disait l’entourage, évidemment en plaisantant. Isabelle Gosset est une battante, une aidante aussi, même si elle a eu du mal à se reconnaître dans ce rôle qui s’est imposé à elle. « On devient aidant sans s’en rendre compte, peut-être parce qu’on est tous aidants de quelqu’un, à des degrés différents et de manière assez naturelle.» Du fait de la maladie de son époux, dont les signes avant-coureurs sont survenus alors qu’il n’avait pas 60 ans, Isabelle s’est installée dans ce rôle avec une grande incompréhension. « Si j’avais pu trouver un interlocuteur pour m’expliquer le long chemin qui m’attendait, j’aurais mieux accompagné François dans sa souffrance psychologique. Nous aurions gagné des années de partage et de complicité. Nous aurions fait face ensemble et trouvé des solutions pour avoir un meilleur confort de vie. » Témoignage…

Bien souvent les aidants écoutent mais n’entendent pas…

Il a fallu qu’Isabelle tombe sur des écrits de François pour réaliser ce que l’entourage et elle-même n’avaient pas su voir de sa souffrance. « Lorsque le malade ne reconnaît plus personne, c’est presque la phase terminale. II y a un long processus avant, parfois de très nombreuses années. C’est là qu’il faut agir, ne pas baisser les bras, ne pas s’isoler. J’ai été en colère contre moi-même quand j’ai réalisé que j’aurais pu l’accompagner autrement, en étant à ses côtés, sans faire à sa place. Il y a des signes avant-coureurs et il faut savoir les reconnaître. Pendant des années, il y a eu un changement de comportement qui a été mis sur le dos de la dépression post-retraite. Des tocs, des anxiétés, un sommeil perturbé, un manque de confiance, tout cela le poussait à s’isoler. Des anxiolytiques et des anti-dépresseurs lui ont été prescrits sans vraiment d’amélioration de son état. J’étais devenue son cerveau de substitution. » François est devenu dépendant d’Isabelle parce qu’il ne savait plus faire mais elle l’a compris trop tard. « Lorsqu’il ne me voyait plus, il était perdu », se souvient-elle.  Son anxiété augmentait, son comportement changeait, les oublis se multipliaient et Isabelle se souvient de toutes les explications données par un entourage dérouté, qui cherchait à expliquer, « il n’assume pas bien sa retraite » ou à en plaisanter « enfin, François, tu as Alzheimer ou quoi ! », jusqu’à leur médecin qui se voulait rassurant, « François a toujours été tête en l’air ! » … Isabelle comprend avec le recul l’anxiété et les colères de son mari face aux réponses inappropriées des proches, faute de savoir ou en raison d’une forme de déni. « Il ne faut pas croire que la personne atteinte de cette maladie oublie tout, non elle est consciente et cache comme elle peut ses souffrances psychologiques. Lorsque François a été diagnostiqué, personne n’a pris l’initiative de venir m’expliquer la maladie, de me donner des conseils pour encadrer et comprendre tous ces changements de comportement. On dit que les personnes Alzheimer deviennent violentes mais cette violence peut être une réponse à nos propres maladresses face à cette maladie complexe. »

Où sont mes clefs ?

Isabelle s’est à l’époque sentie terriblement désemparée et seule. Elle veut donc aujourd’hui partager son expérience dans le respect de situations de vie toutes singulières. Elle a créé, en 2019, l’association « Où sont mes clefs ? », dont l’objet est de sensibiliser aux signes avant-coureurs de la maladie et d’informer pour mieux appréhender les troubles de la mémoire. « Je suis passée par là et cela donne une légitimité à mon action », une initiative complémentaire de ce qui existe pour accompagner les malades Alzheimer et leurs proches. Avec cette association, Isabelle s’inscrit dans le cadre de la pair-aidance, le partage entre personnes qui vivent une expérience commune, l’une avec le recul de ce qui est derrière elle, l’autre en prise avec ce qu’elle vit. Elle souhaite par exemple aider ceux qui sont perdus, comme elle l’a été, dans le langage des abréviations : MDS, SSIAD, CCAS, MDPH, MAIA, APA, GIR…. Évidentes pour ceux qui les pratiquent au quotidien, elles renforcent la confusion des aidants. « Il faut passer beaucoup de temps sur internet pour s’y retrouver, aller chercher l’info, comprendre qui a droit aux aides et ce qui est demandé pour les mettre en place… Quand j’étais aidante, je n’en avais ni le temps ni l’énergie. J’étais tellement accaparée par la maladie de François que je n’arrivais plus à me concentrer sur les infos trouvées, trop nombreuses et donc confuses. Il faut comprendre aussi que, bien souvent, les aidants écoutent mais n’entendent pas… Il faut trouver le bon moment pour avoir leur attention. » L’association est un lieu d’accompagnement pour écouter, sensibiliser, orienter et aider à dédramatiser certaines étapes de la maladie. Quand l’aidant se résout à envisager de l’aide à domicile ou un hébergement en Ehpad, la question financière peut devenir une source de stress supplémentaire et freiner la mise en place de solutions pour le soulager. Isabelle ayant vécu cela, elle apporte sa compréhension de tous ces questionnements : « on cherche et on trouve ensemble des solutions pour améliorer le confort de vie de l’aidé et de l’aidant avec des aides humaines et financières ».

Inspirée par les travaux du Professeur Amouyel

Mieux connue, la maladie est souvent diagnostiquée et accompagnée trop tard. Les aides se déclenchent encore quand trop de temps a été perdu dans l’évolution de la maladie et au prix de nombreuses maladresses involontaires et de l’épuisement du proche. Évidemment concernée par les avancées sur la maladie D’Alzheimer, Isabelle est inspirée par les travaux du Professeur Amouyel, Professeur de Santé Publique au CHU de Lille et ancien directeur général de l’Institut Pasteur de Lille, et d’autres études scientifiques qui se rapprochent l’une de l’autre. Elle souhaite sensibiliser sur l’importance de la stimulation du cerveau. Si elle avait connu ce nouveau protocole, elle reste persuadée qu’elle aurait gagné 5 à 10 ans avant que François ne perde toute son autonomie et soit obligé d’aller dans un établissement spécialisé afin de ne pas se mettre en danger.  « Aujourd’hui, avec un diagnostic en stade 1 ou 2 de la maladie, je sais qu’un protocole existe et qu’il est possible de retrouver des capacités perdues. Avant, on disait ce qui est perdu est perdu. On sait maintenant que les neurones perdus se renouvellent tout au long de la vie. Il faut les entretenir comme on entretient ses muscles. On conseille à une personne qui se déplace avec de plus en plus de difficultés de faire quelques pas tous les jours. C’est la même chose pour une personne qui a des pertes de mémoire, il faut faire des exercices pour bien nourrir son cerveau, le nourrir au sens propre et au sens figuré », insiste Isabelle. On connait aujourd’hui, l’importance de l’alimentation mais aussi l’indispensable oxygénation du cerveau par l’activité physique, la méditation, la relaxation. Avec sa belle énergie, Isabelle passe un message qui s’adresse à tous : « La prévention reste le meilleur traitement aujourd’hui de cette maladie ! Parlez des pertes de mémoire dès les premiers symptômes à votre médecin. Ce n’est probablement pas la maladie d’Alzheimer mais l’important est de diagnostiquer la cause et d’agir le plus rapidement possible. »

François avait été placé en Unité de Vie Alzheimer (UVA) par le médecin à la sortie d’une énième hospitalisation. Les derniers mois de sa vie au domicile, Isabelle ne dormait plus et elle n’aurait pas pu continuer longtemps : plus de sommeil, plus de vie sociale ni familiale, elle vivait avec son époux, dans la « prison dorée » qu’était devenue leur maison, sans plus aucun dialogue possible entre eux. Il est décédé de la Covid-19 pendant le premier confinement, un moment douloureux pour Isabelle qui reste une battante et espère poursuivre l’activité associative, en acteur complémentaire de structures dédiées vers lesquelles elle souhaite orienter des aidants « désemparés », comme elle a pu l’être…

Propos recueillis par N. Cuvelier

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En savoir plus sur l’association d’Isabelle : http://ousontmesclefs.fr/

Ouvrage du Professeur Amouyel recommandé par Isabelle : “Le guide anti-Alzheimer, les secrets d’un cerveau en pleine forme” – Éditions Le Cherche-Midi

Découvrez un des nombreux exemples d’aide entre aidants avec Alice Steenhouwer, directrice d’Avec Nos Proches

 

Dominique Villa

Évoluer dans la confiance et la transparence

Directeur Général de Aid’Aisne, une importante structure d’aide à la personne avec plus de 200 intervenants du domicile et 800 bénéficiaires, Dominique Villa a 30 ans de métier, des convictions chevillées au corps et une vraie vision sur l’évolution nécessaire d’un secteur en mal d’image. Celui qui aime dire que « le management est une affaire de sincérité », se présente comme un capitaine d’équipe, convaincu du sens et de la valeur du collectif. Curieux d’expérimenter des initiatives de terrain mais attentif à la mise en œuvre d’actions pérennes, il veut sortir des cercles vicieux qui ont dévalorisé le métier et dégradé la relation aux bénéficiaires. Pour cela, il travaille sur des leviers vertueux pour les collaborateurs, les bénéficiaires et les familles, le bien-être de chacun contribuant à une meilleure qualité de vie de tous, au domicile et au travail.

Aid’Aisne est une structure avec un projet associatif solide, une vision et des perspectives de développement qui contribuent depuis plusieurs années à souder les collaborateurs et à les mettre dans une dynamique de coopération.

Comment résumeriez-vous ces 30 ans de bons et loyaux services ?

La culture du métier que j’ai acquise par l’expérience, les lectures, la formation et les rencontres est venue enrichir et conforter ma vision initiale d’un monde où il est important d’accompagner ceux qui sont en situation de fragilité, voire de ceux qui sont dans la marge. Je n’ai pas trahi le gamin que j’étais à 20 ans, prêt à tendre une main secourable aux plus démunis. Évidemment, je n’ai plus la naïveté de mes débuts dans cette volonté d’aider mais j’ai cultivé mes convictions et celui que je suis devenu doit tout à ce gamin que j’ai été. J’aime rappeler que je suis entré dans le métier comme secrétaire comptable. C’est cette progression, en temps voulu, qui me permet aujourd’hui d’être le capitaine qui amène le sens du collectif autour d’une vision partagée. Cela me permet aussi d’être un mentor pour d’autres et un partenaire solide et crédible auprès de nombreuses parties prenantes. Je suis surtout bien placé pour dire aux collaborateurs que, quelle que soit leur place aujourd’hui, tout est possible demain ! Quand je parle du management comme d’une affaire de sincérité, cela veut dire aussi que je suis le même à la maison et au travail, avec mes forces et mes faiblesses. Je travaille beaucoup avec mes équipes sur cette idée qu’il faut connaître et apprendre de nos faiblesses pour abuser positivement de nos forces…

Quelles évolutions majeures avez-vous vues dans le secteur de l’aide à la personne ?

J’ai constaté une insécurisation progressive du salarié, un affaiblissement de sa reconnaissance professionnelle et, finalement une perte de proximité. Dans une volonté de sécuriser l’intervention au domicile, l’encadrement par des normes, des lois et des conventions a conduit à une hyper rationalisation, à l’évaluation, à la réglementation absolue. Le financement public est venu exiger sa part de normatif mais le système s’est révélé assez pervers : ce que le métier a gagné en professionnalisation, et c’est une bonne chose, il ne l’a pas gagné en termes de qualité et d’espérance de vie au travail ni de qualité de la relation. A cela, sont venues s’ajouter la loi de 2002 et la loi Borloo afin de contractualiser le service rendu au bénéficiaire avec une inflation du droit et l’obligation d’un devis, d’un contrat, d’un cahier de transmission, d’un livret d’accueil… Avec l’ouverture au marché préconisée par Jean-Louis Borloo pour créer de l’emploi dans le secteur, c’est effectivement devenu un marché. De fait, un gérant de structure n’a désormais pas forcément besoin d’un diplôme reconnu lié à une fonction du médico-social et l’on parle aujourd’hui d’embaucher des commerciaux pour aller trouver de la clientèle. Nous avons perdu un peu de notre âme…

C’est un constat assez amer… Comment cela s’est-il traduit sur le terrain ?

Nous sommes passés de l’époque des feuilles de présence, signées de manière plus ou moins régulière par le bénéficiaire, dans un rapport complètement différent à l’intervention, à la télégestion. Elle a certes amélioré la communication et la réactivité mais elle a aussi eu pour effet de dégrader la relation au bénéficiaire avec ce premier geste au domicile qui est de badger, pour être en règle, avant même de dire bonjour. Nous avons assisté, dans une volonté de transparence par rapport à ceux qui paient les prestations, principalement les départements, à une forme de taylorisation appliquée au secteur. Cela a amené à parler de tournées de travail, de relation clients plutôt que de relation aux bénéficiaires ; les responsables de secteur sont devenus des logisticiens de l’organisation…

La contractualisation de la relation a nui à la relation ?

Il y a 30 ans, le métier d’aide-ménagère n’était pas connoté négativement. Il était perçu comme un métier de lien, de proximité, avec une certaine noblesse à rendre service comme on le ferait pour un parent. Et ce qui fait l’intérêt du métier, c’est bien la qualité du lien. Cette qualité du lien s’est fragilisée avec sa mise aux normes et certains salariés sont déchirés entre ce qu’ils attendaient du métier et ce qu’ils vivent avec certains bénéficiaires ou les familles. Un intervenant qui vient aujourd’hui chez un bénéficiaire, en dehors du cadre contractuel, même pour rendre service, peut être sanctionné. Il est vrai aussi que de plus en plus d’intervenants arrivent dans ce métier parce qu’il faut bien travailler et sans aucune vocation particulière. Plus généralement, les relations sociales sont de moins en moins placées sous le signe de la confiance et de la proximité.

C’est un secteur qui semble dans une situation précaire à plus d’un titre, comment l’expliquez-vous ?

Je vais prendre un exemple pour expliquer ces cercles vicieux. Prenons la pénurie de personnel, qu’est-ce qu’elle entraîne ? Nous sommes d’accord, c’est un défaut d’attractivité du métier mais elle engendre, de fait, des recrutements. Ces recrutements ne se révèlent pas à la hauteur des attentes des bénéficiaires et vont donc entraîner une insatisfaction sur la qualité de service, et une dégradation de l’image de la structure. Et en plus, ce personnel mal recruté ou mal employé ne va pas rester longtemps et c’était joué d’avance. La personne qui, dès le départ, n’est pas à la bonne place, va s’en apercevoir très vite ou c’est la structure qui va la pousser dehors. Tout cela n’entraîne rien de bon pour l’image du secteur. On voit bien les effets en chaîne de ces recrutements hasardeux. A nouveau, pour pallier ce turnover des personnels, nous allons avoir de nombreux remplacements, nouvelle source d’insatisfaction des bénéficiaires. Discontinuité de services, accidents plus nombreux de personnes moins formées, moins motivées, de passage dans le métier… la roue tourne vite à l’envers avec ces effets d’engrenage négatif. Pour casser ces cercles, il faut travailler sur tous les leviers négatifs en même temps, ce qui est ambitieux et difficile pour des structures qui se débattent déjà au quotidien.

Pouvez-vous évoquer quelques leviers mis en place par Aid’Aisne depuis quelques années pour enclencher une dynamique plus vertueuse ?

Je souhaite en évoquer quatre…

Premier levier : nous avons créé en 2015 la fonction de coordinatrice de parcours qui consiste à être la personne ressource du bénéficiaire dans l’expression de ses besoins mais aussi pour faire parler ensemble toutes les parties prenantes de l’aide à domicile. Nous avons fait le pari que cette fonction de bras droit technique du responsable d’équipe, garant de la relation avec le bénéficiaire, pouvait être assurée par des anciennes intervenantes du domicile, ce qui leur ouvre des perspectives professionnelles (1).

Deuxième levier : pour répondre au défi de l’absentéisme et sa cause principale, l’accidentologie, nous avons décidé d’aller plus loin que l’animation prévention secours et d’ouvrir un poste d’ergothérapeute autofinancé par la structure. Le pari consiste à faire davantage reculer le risque professionnel en allant au domicile comprendre les circonstances des accidents, montrer aux salariés et aux proches aidants les aides techniques et les former en situation.

 Troisième levier : nous avons mis progressivement en place un centre de ressources animé par des référents sur les axes alimentation, sport et développement durable et entraîné nos bénéficiaires et nos salariés dans ce projet avec, par exemple, la création des jardins ouvriers de Célestine où ils ont l’occasion de se croiser. Par le biais de ses actions, on améliore aussi la qualité des repas préparée par les intervenantes du domicile, on met en place le portage de paniers solidaires pour les bénéficiaires qui peuvent rencontrer des fins de mois tendus, ou pour nos salariés les plus en difficultés. Ces actions contribuent à la qualité de vie et santé au travail, à la reconnaissance professionnelle en s’attachant aussi aux besoins plus personnels des salariés. Et ça ouvre un espace socio professionnel aux collaborateurs avec des perspectives de valorisation de leurs actions et d’évolutions professionnelles au sein de ce collectif. On veut pouvoir soutenir nos salariés, les associer au même titre que les bénéficiaires qui le souhaitent à ces ateliers ou à de nouvelles perspectives. D’ailleurs, nous avons reçu une reconnaissance de l’ARS et de la Carsat dans cet accompagnement périphérique de l’ensemble des parties prenantes. Avec l’aide de la Fondation de France, nous allons pouvoir en 2021 offrir tous les mois, à un salarié sur deux, une heure liée à une de ses activités du centre de ressources.

Ces leviers déjà évoqués supposent beaucoup de concertation avec vos salariés et une réelle marge d’action de leur part ?

Oui et c’est le dernier levier que j’évoquerai : l’autonomie des équipes. Le principe consiste à constituer de petites équipes de 8 à 10 personnes qui travaillent avec un responsable de secteur et une coordinatrice de parcours déjà mentionnée et de mettre la décision à la bonne hauteur. L’équipe gère la planification des interventions, discute des besoins mais aussi des conditions et ressources d’intervention nécessaires. Au sein de notre association, les équipes bénéficient de 11h par mois pour avoir du temps de délibération et s’organiser en toute autonomie. Mais cette autonomie ne fonctionne pas si vous n’avez pas mis en œuvre avant les autres rouages de ce cercle vertueux. Il ne faut pas que ce soit qu’un principe de subsidiarité en délégant aux équipes la planification des interventions mais il faut ajouter les dimensions d’intelligence collective, de ressources multiples, de formation, de mieux être au travail.

Vous avez donné le nom de Rêve-Evolution à ce mouvement enclenché avec vos salariés, quels en sont les maîtres mots ?

Notre charte en évoque deux, simples et essentiels à mes yeux : confiance et transparence. Je dis souvent aux salariés que quoi qu’il advienne au travers de ces expérimentions, je leur fais confiance car ils feront toujours mieux à avoir osé faire autrement. Bien sûr, la transparence implique que tout doit être dit et communiqué et cela est possible et vertueux sur cette base d’une relation de confiance. Par exemple, pour moi, cela suppose de ne rien cacher des finances ou de la politique de la structure.

Il était difficile de ne pas aborder la crise sanitaire et son impact sur votre organisation et sur le secteur ?

L’association a tenu le cap, au rythme des difficultés d’organisation liées aux arrêts de travail et grâce à tout ce travail de mobilisation collective mis en place avant la crise. Les coordinatrices de parcours qui passent 75% de leur temps sur le terrain, sont particulièrement mobilisées et elles font le lien pour porter des paniers alimentaires à ceux qui en ont le plus besoin, repérer les salariés en difficultés, accompagner les nouveaux venus dans un contexte difficile…  Plus généralement, la crise a mis un coup de projecteur sur le secteur de l’aide à la personne et révélé toutes ses facettes, celle d’un formidable métier de liens et de maintien des liens et celle d’un métier dédaigné et méprisé… L’aspect positif, c’est qu’elle a montré que ces métiers de première ligne sont en insuffisance de moyens. A mon avis, elle a agi en accélérateur d’une prise de conscience politique des décideurs. On voyait notre secteur comme une source de dépenses, là on y voit encore une source de dépenses mais avec un aspect de prévention qui coûte moins cher qu’un aspect réparateur. Des départements sont plus avancés que d’autres et ont anticipé les aspects de revalorisations salariales dès le 1er janvier 2021. Quant au fameux 5è risque, celui de la dépendance, qui a été une vraie caisse de résonance, mais vide jusqu’ici, il faudra bien un jour y allouer des cotisations…

Propos recueillis par N. Cuvelier

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1)Dans les Ehpad ou les SSIAD, ce rôle de coordination est respectivement confié à des médecins et infirmières.

 

Hélène Viennet

« Je m’intéresse à comment ça danse »

Psychologue et psychanalyste, Hélène Viennet a travaillé dans des services hospitaliers de soins palliatifs. Elle intervient au domicile de patients atteints de maladies graves et de leurs familles et anime des groupes de paroles pour des soignants et des bénévoles. Elle a écrit « A l’écoute des proches aidants » (1) pour leur rendre grâce, en témoignant non seulement de la complexité des situations mais aussi des affects éprouvés lorsque la maladie, le handicap, la démence surviennent dans une maison sans y avoir été invités. Elle y fait entendre « ces mots, pensées et sentiments qui n’osent ni se dire ni se partager » et elle met en avant la richesse des accompagnements qui ouvre une éclaircie sur l’horizon quand tout semble si bouché. A l’écoute d’Hélène Viennet …

On les a nommés aidants mais eux, ils ont du mal à s’y reconnaître : se reconnaître aidant c’est risquer de perdre leur qualité de proche et se sentir réduit à l’aide qu’ils peuvent apporter. Mais cette reconnaissance ouvre aussi à la possibilité d’être aidé

Comment avez-vous approché les proches et les soignants  ?

« Au départ j’ai été infirmière et j’ai mené, dans le même temps, mes études en psychologie clinique psychanalytique. Je m’occupais la nuit de jeunes patients qui mouraient du sida et j’étudiais le jour. Je voyais toute la souffrance des patients, de leurs proches et des soignants. En tant que psychologue, portée par cette première expérience, j’ai commencé à travailler dans des services de soins palliatifs. Je me suis occupée d’une part des patients, avec une attention particulière pour leur entourage et, d’autre part, des soignants pour qui il est si difficile de dire lorsque ça va mal et combien ce qu’ils vivent est parfois compliqué. Le malade, même s’il ne le souhaite pas, est au centre de toutes les attentions. Quand la maladie s’invite sans avoir été invitée, n’est-ce pas tout l’équilibre de la famille qui est bouleversé ? L’expérience nous montre que les proches n’expriment que difficilement leurs souffrances, or j’ai depuis toujours à cœur de donner la possibilité à chacun d’exprimer combien cela parfois est difficile, combien parfois l’envie que ça s’arrête est présente. Je sais que ces pensées tant redoutées sont lourdes à porter. L’expression et le partage avec un professionnel extérieur permet de ré ouvrir l’horizon, de déculpabiliser, et même de trouver du plaisir à être là. »

Dans votre livre, proches, soignants et patients sont indissociables  ?

« Pour moi, parler des proches ou des soignants, c’est ne jamais oublier le malade qui est au centre. C’est comme une valse, une valse à trois temps. Je m’intéresse à comment ça danse et si ça ne tourne pas bien, je cherche d’où vient le blocage pour redonner du mouvement. Cette valse s’interrompt souvent, il y a beaucoup d’à-coups et c’est normal. Le malade voudrait être un super malade autonome, le soignant un super soignant qui soulage douleurs et symptômes, le proche un super proche infatigable. Chacun se donne beaucoup d’impératifs : le malade voudrait ne pas déranger, le proche être toujours disponible, le soignant toujours au top mais le rythme à trois temps d’une valse fluide est impossible à tenir sur la durée… »

Qu’est-ce qui rapproche les soignants et les proches aidants ?

« C’est l’intrusion de la maladie qui va les rapprocher car, dès lors, ils ont besoin les uns des autres. Lorsque les proches deviennent des « aidants », les soignants, tout comme la société, comptent de plus en plus sur eux. »

A l’inverse, qu’est ce qui les distingue ?

« Les soignants ne sont pas touchés de la même manière. Ils peuvent être affectés, émus, mais ils restent professionnels. D’ailleurs, on le voit bien, quand des soignants deviennent aidants d’un de leurs proches, ils sont parfois très en difficulté. Ce qu’ils savent faire pour les autres, ils ne peuvent le faire de manière identique pour leur famille. C’est souvent très douloureux…  Il y a donc une distinction. A partir de cette différenciation, un partenariat peut se tisser. Les professionnels exercent leur savoir-faire et les proches sont là, pris dans leur histoire singulière. Les proches ont peur de devenir des soignants de substitution, que l’on compte sur eux au point qu’ils en perdent leur relation première avec la personne qu’ils accompagnent. »

Les proches pensent souvent qu’ils savent mieux que les soignants ce qui est bien pour le malade, comment l’expliquez-vous ?

« Oui, et c’est compliqué pour les soignants, mais n’est-ce pas une richesse ? Si on l’entend comme une forme de rivalité, de compétition, de rapport de force, alors on oublie que les points de vue sont complémentaires. Si c’est la curiosité qui prime, « ah bon, dites-moi comment vous faites ? », alors le savoir du soignant va s’enrichir de la connaissance du proche. Je préfère toujours la conflictualité au conflit. La conflictualité, c’est pouvoir déployer une palette de regards différents qui deviennent complémentaires face à une même situation. Le soignant a un regard objectif, professionnel, riche de son expertise et de son expérience, le proche sait autre chose, autrement. Si on ne reste pas chacun dans sa posture, un pas de côté est possible et le dialogue, la rencontre et le partage s’engagent. »

Et c’est facile ?

« Non, c’est extrêmement difficile, souvent parce que les proches sentent qu’on a besoin d’eux mais qu’on ne les écoute pas. Ils se sentent à la merci d’un système de santé qui leur demande beaucoup au domicile et les relègue ensuite à l’hôpital. Quand on leur demande par exemple de sortir pendant une toilette alors qu’au domicile c’est eux qui font cette toilette, c’est violent. Ils le vivent comme une exclusion. S’ils revendiquent un « je sais mieux que vous », c’est parce qu’ils sont très souvent face à l’impuissance de n’être pas entendus. Leur donner la parole quelques minutes peut suffire pour enclencher le dialogue et apaiser les relations : « Comment vous le trouvez ? Ah, vous le trouvez comme ça ? Vous voyez des choses que je ne vois pas, évidemment je ne suis pas là tout le temps … ».  Si les soignants écoutent les proches, alors les proches écouteront les soignants. Un lien de confiance s’instaurera. Il faut aussi accepter que les proches ne soient pas toujours dans un état qui leur permet de bien entendre les soignants. Ils ne savent plus, ils n’ont pas vraiment entendu ce qui a été dit, ils ont entendu ce qu’ils étaient capables d’entendre, à ce moment-là. Quand je parle de soignants, je parle des médecins, infirmières, aides-soignantes, des auxiliaires de vie, tous ceux qui entourent le malade. »

Qu’est-ce qu’ils nous disent ces proches qui ne se reconnaissent toujours pas dans cette notion d’aidant ?

« Dans un premier temps, ils ne peuvent pas se reconnaître ainsi. Ce n’est pas qu’ils ne veulent pas, mais pour eux ce qu’ils font est normal et puis il n’y a personne d’autre qu’eux pour le faire. On a besoin d’eux et ils sont là, jour et nuit, présents pour le malade, présents pour les soignants, à ouvrir la porte du domicile, à organiser le quotidien … Certains disent qu’ils sont comme « des chefs d’une petite entreprise ». C’est vrai qu’il ne peut pas y avoir de retour à la maison sans la disponibilité d’un proche. On les a nommés aidants mais eux, ils ont du mal à s’y reconnaître : se reconnaître aidant c’est risquer de perdre leur qualité de proche et se sentir réduit à l’aide qu’ils peuvent apporter. Mais cette reconnaissance ouvre aussi à la possibilité d’être aidé. C’est en cela que la notion est riche. Se reconnaitre aidant passe toujours par un tiers. Des associations proposent de l’aide aux aidants mais, pour certains, c’est impossible d’y aller car ils ne savent pas qu’ils sont aidants ! Ensuite, si on leur dit : « il faut vous reposer, on va vous aider, venez au café des aidants, ça vous fera du bien, vous êtes épuisés », ils entendent un jugement. « Tout le monde me dit de me reposer, mais je ne sais pas comment faire » …  Si la proposition part d’une invitation à partager un savoir-faire, transmettre des trouvailles, des petits trucs qui facilitent la vie, alors ils peuvent faire ce premier pas si difficile. Et c’est vrai qu’ils ont bien souvent, sans même le savoir, inventé mille choses ! »

 Ils ne revendiquent pas non plus un statut d’aidant…

« Le statut, ça aide le politique, le social, le système de santé. Ce statut a une double fonction : une fonction extrêmement positive qui est de les reconnaître pour leur proposer de l’aide et une fonction qui risque de les instrumentaliser. Ils ne veulent pas qu’on parle à leur place, qu’on sache mieux qu’eux, qu’on les enferme dans un rôle et ils ont bien raison ! Si on leur dit vous êtes aidants, ils répondent « mais non, je m’occupe de ma maman, c’est normal », mais est-ce si normal de faire la toilette de sa maman ? Il est possible de considérer que cela est normal et dans le même temps de reconnaitre que ce n’est pas si facile. Interrogeons l’écart. Accueillons le fait qu’ils puissent dire que cela est normal et que ce n’est pas facile. »

 Comment les reconnaître alors sans les instrumentaliser ?

« Reconnaître les proches aidants, c’est reconnaître qu’ils sont parties prenantes de ce maillage autour de la personne malade. On le voit, c’est un partenariat compliqué pour les raisons déjà évoquées, qui ne peut se construire que petit à petit en respectant la place délicate des proches. A l’inverse, les proches ont vraiment besoin et doivent laisser la place aux soignants pour les soins, la prise en charge de la douleur, les gestes très techniques… Et ils ont si peur ! Seule une relation de confiance peut apaiser les différents protagonistes. »

A-t-on le choix d’être aidant ou de ne pas l’être ? Peut-on dire « je ne peux pas » …

« Il y a effectivement des enfants, des conjoints ou des parents qui ne peuvent pas. « Je ne peux pas » est différent de « je ne veux pas ». Pourquoi le proche ne peut-il pas ? Voilà une question intéressante à poser avant de juger. Ce « je ne peux pas » est toujours à entendre en lien avec l’histoire familiale. Est-ce qu’il s’exprime au début de la maladie, au bout de plusieurs années, en lien avec une pathologie, après un précédent accompagnement ? On ne peut pas forcer quelqu’un et c’est toujours si riche d’entendre ce qui s’énonce au-delà du « je ne peux pas ». Souvent alors les propositions d’aides peuvent se déployer et les positions familiales changer… »

On mesure combien il est difficile d’être à l’écoute des proches aidants, pour reprendre le titre de votre ouvrage…

« C’est pour cela qu’il faut des équipes pluridisciplinaires, les soignants n’ont pas le temps pour entendre ces mots, ces pensées ou sentiments qui n’osent ni se dire ni se partager. Et de mon côté, je ne peux entendre le proche aidant que parce que je sais qu’il y a une infirmière qui prend en charge la douleur du malade, des auxiliaires de vie qui sont là tous les matins au domicile pour venir s’occuper de lui. C’est capital. Et si on le peut, c’est encore plus riche de pouvoir ensuite échanger et de se parler. Mais souvent le temps manque, alors on fait autrement. Chacun invente. »

Être aidant ne relève pas d’un enjeu individuel, c’est bien un enjeu beaucoup plus collectif ?

« La notion d’aidant acquiert sa richesse dans le collectif. Il faut inscrire les aidants dans un partenariat et pas les assigner à un rôle où ils sont seuls, terriblement seuls. Si le proche est tout seul à la maison, il peut bien hurler qu’il n’en peut plus, de toute façon, il est là. Au sein d’un collectif, on pourra entendre, accompagner ce qui est difficile et proposer des séjours de répit. De plus en plus d’équipes pluridisciplinaires et de maisons de répit se développent sur les territoires. Un DIU répit existe depuis 5 ans à Lyon (2) pour réfléchir à ces questions. Nous n’avons pas tous les mêmes compétences. Travailler ensemble c’est convertir les rivalités en richesses. Et le malade, ne l’oublions pas, cela le rassure, le conforte, de savoir que son proche n’est pas ou n’est plus seul. »

Être aidant, c’est apporter son aide mais qui exprime le besoin d’aide ?

« Admettre et accepter de l’aide n’est pas facile et provoque des conflits psychiques intimes très forts. Par exemple, on peut avoir besoin de l’autre et ne pas supporter qu’il soit là car, n’est-ce pas là le signe que la maladie s’aggrave ? On voudrait éviter d’y être confronté. Alors on voit des malades et des proches exprimant en même temps une demande et un refus, c’est très difficile pour tous. L’aide doit être distillée, apportée à petits pas. Il faut en quelque sorte prendre la température au domicile, voir ce qui s’y joue. Le risque est de vouloir faire trop vite, trop bien, au risque de faire violence. Heureusement, entre ces deux extrêmes, solitude absolue et aide « intrusive », il y a tout un déploiement d’aides possibles. Là encore, les compétences d’une équipe pluridisciplinaire qui se questionne est capitale. Car les humains sont bien surprenants ! Un malade par exemple va le même jour pouvoir dire à l’auxiliaire de vie qu’il voudrait qu’on le laisse tranquille et à la psychologue qu’il a besoin d’aide pour sa toilette. Les incompréhensions au sein d’une équipe sont inévitables mais elles viennent souvent de l’ambivalence des patients se projetant sur les soignants. Chaque soignant croit à juste titre détenir La Vérité du malade et de la famille, or il y a toujours plusieurs vérités en même temps ! Le comprendre permet de doser et parfois d’oser proposer moins d’aide. C’est un véritable travail d’équilibriste qui se met en place autour du malade et de ses proches. »

Qu’avez-vous appris de plus essentiel en écrivant ce livre ?

« J’ai appris qu’à entendre les soignants, les malades et les proches s’ouvrent des espaces de créativités et de rêveries. C’est un peu une provocation de dire que rêver est encore possible alors qu’il y a la maladie, le handicap, la mort, mais la rêverie permet d’entendre les richesses, soutient le lien et permet de garder les pensées vives et créatives : une éclaircie à l’horizon… »

Propos recueillis par N. Cuvelier

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1) « A l’écoute des proches aidants, du répit à la rêverie, approche psychique des émotions », Éditions Seli Arslan, Paris 2020

2) Diplôme Inter Universitaire De Répit : « Vous êtes médecin, infirmier, psychologue, assistant social, responsable ou salarié d’un établissement de répit, d’un organisme de prévoyance, d’une collectivité territoriale vous souhaitez faire évoluer vos pratiques professionnelles, le DIU de répit vous propose une formation reconnue pour permettre de mieux appréhender et accompagner les situations vécues par les proches aidants. » Plus d’information : http://www.formation-repit.fr/

 

Jean Ruch

Oser penser différemment l’habitat

« Chacun peut jouer un rôle dans le changement de société et s’investir pour l’émergence de nouvelles façons de vivre ensemble. » Jean Ruch est le fondateur de Familles Solidaires (1), qui donne à des particuliers le pouvoir d’agir pour le développement de l’habitat inclusif (2) afin que les personnes fragilisées par l’âge, la maladie, le handicap et leurs aidants familiaux vivent avec les mêmes droits que les autres à choisir leurs lieux et modes d’habitat et de vie. Avec son expérience intime de l’accompagnement d’une personne en situation de handicap, Jean Ruch a réalisé qu’il était un parmi des millions qui se débattent pour trouver une solution d’avenir viable et durable pour un proche, surtout si ce dernier est encore jeune. « Il faut vivre la complexité du quotidien pour comprendre ces situations de vie et mesurer les limites, dans certains cas, de la solution du domicile. » Être acteur de ses choix, se donner les moyens d’avoir le choix, créer les conditions pour oser penser différemment l’habitat et l’aide à la personne, c’est ce qui réunit les adhérents de Familles Solidaires. Témoignage…

De plus en plus de mairies nous contactent pour ces solutions d’habitat à taille humaine qui permettent en plus, en milieu rural, de garder les habitants dans leur village, et de créer de l’activité économique sur des territoires de plus en plus confrontés à la fuite des services vers le monde urbain….

Que vous a appris votre expérience personnelle ?

Elle m’a appris que les attentes des aidants sont claires : ils ont besoin d’avoir des réponses concrètes aux difficultés d’accompagnement de leurs proches, à la quasi-impossibilité de garder une vie sociale et professionnelle s’ils sont en activité. Ce ne sont pas quelques heures d’aide par semaine qui le permettent. La solution du domicile a ses limites en raison du système actuel de compensation. La collectivité finance quelques heures d’auxiliaires de vie tous les jours pour une personne en situation de handicap ; pour une personne âgée, l’aide est plafonnée et beaucoup moins favorable. Dans tous les cas, ce sont les aidants, engagés dans une loyauté qu’ils estiment devoir à leur proche, qui permettent au système de fonctionner. Ils servent de variables d’ajustement ! Ce système de compensation est insuffisant et conduit à un repli et à une solitude dans le duo aidant/aidé, difficile à rompre après plusieurs années. Si je prends le conjoint d’une personne atteinte d’Alzheimer, qui peut en plus être âgée, comment compenser le fait de répéter 30 fois par jour la même chose, de supporter des sautes d’humeur, de voir son existence mise entre parenthèses… Dans les situations de handicap, les aidants sont souvent les parents qui vivent en plus avec une terrible question : « qui sera là quand nous ne serons plus là ? ». Là encore, le système ne leur offre pas de réponse. Auprès d’un de mes proches, j’ai connu l’épuisement, l’isolement et le défi de tenir sur la durée en raison d’une forme d’usure mentale, de contraintes physiques, de responsabilité dans la coordination des intervenants du domicile et d’un malaise quand il n’y a plus d’interaction possible.

En quoi l’habitat inclusif vient-il apporter une solution plus durable quand le domicile n’est plus tenable ?

Il faut l’envisager comme une alternative possible, notamment pour des personnes encore jeunes. L’offre d’hébergement en établissement est insuffisante en nombre, pas forcément souhaitée par les personnes concernées et de qualité inégale. L’habitat inclusif repose sur un principe de solidarité qui va au-delà du logement partagé en mettant en commun des ressources, par exemple la mise en commun des heures de présence des auxiliaires de vie et l’articulation de l’ensemble des services nécessaires et leur coordination, particulièrement vitale pour les personnes désorientées. Cela permet de créer une solution d’habitat accompagné qui ne peut pas exister à l’échelle individuelle. Demain, tout le monde ne pourra pas rejoindre un habitat inclusif et l’objectif n’est pas qu’une solution remplace l’autre. Il y a de très bonnes choses qui se font en établissements médico sociaux, souvent grâce au facteur humain. L’ambition, c’est de permettre une forme de choix pour les personnes qui le veulent et quelles que soient leurs ressources financières ou familiales.

Quelles principales difficultés avez-vous rencontrées au démarrage ?

Beaucoup de gens qui, se sont lancés aujourd’hui dans l’habitat inclusif, n’en disaient pas du bien il y a une dizaine d’années. Les gestionnaires d’établissements médio sociaux voyaient ces habitats d’un mauvais œil, comme des solutions low cost, ce qu’elles ne sont pas. La construction d’un habitat collectif pour les publics fragiles est un vrai parcours du combattant dès lors que vous sortez des sentiers battus du médico-social ou du privé commercial avec des résidences service seniors. On s’est donc heurté aux difficultés liées aux règlementations. En France, il faut avoir un master en bureaucratie pour faire naître ce genre de projets ! Si on ne remplit pas la bonne case au bon endroit, c’est compliqué d’arriver à convaincre, surtout quand on est un peu en avance sur son temps. Et puis, il a fallu que soit enfin autorisée la mise en commun des aides humaines pour mutualiser la présence d’aidants professionnels, une condition de base de la vie en habitat inclusif tel qu’on la conçoit chez Familles Solidaires.

 Les règlementations et la volonté politique sont-elles aujourd’hui plus propices au développement de l’habitat inclusif ?

Oui, indéniablement, avec la loi ELAN (3) qui a permis la mise en place du forfait habitat inclusif. Dernièrement, quatre ministres ont écrit aux conseils départementaux pour leur demander de s’engager en faveur de l’habitat inclusif avec des aides incitatives fortes. 600 logements en deux ans, c’est presque trois fois le nombre de projets actuellement existants. Aujourd’hui, tout le monde a envie d’en faire !  Les bailleurs sociaux pourraient être aujourd’hui moteurs du développement de cet habitat suite au rapport Piveteau Wolfrom (4). De plus en plus de mairies nous contactent pour ces solutions d’habitat à taille humaine qui permettent en plus, en milieu rural, de garder les habitants dans leur village, et de créer de l’activité économique sur des territoires de plus en plus confrontés à la fuite des services vers le monde urbain. Les associations gestionnaires d’établissements d’hébergement ont aussi compris la complémentarité entre l’accueil en hébergement médico-social et l’habitat inclusif pour les bénéficiaires qui ont la capacité d’aller vers plus d’autonomie à un moment donné de leur parcours. On a réussi notre pari qui était d’en faire une troisième voie complémentaire au domicile individuel et à l’établissement médico-social. Et puis, ce qui joue aussi en faveur de l’émergence de ces solutions innovantes, c’est qu’il y a moins d’argent pour les solutions d’hébergement plus classiques et qu’elles ne correspondent plus forcément aux attentes des gens. Si je prends l’hébergement en Ehpad, avec en moyenne 80 résidents sur un même établissement pour atteindre un seuil de rentabilité, bien sûr que les gens n’en rêvent pas et y vont à reculons. Même si les professionnels de ces structures font un travail formidable.

Au regard de votre expérience, quels sont les conditions nécessaires pour faire aboutir un projet ?

Au démarrage, on s’est appuyé sur ceux qui avaient le plus grand intérêt à agir, c’est à dire les proches aidants. Ils ont besoin de réponses rapides à leurs difficultés au quotidien et ils ne peuvent pas attendre plusieurs années pour qu’une solution émerge. C’est avec l’implication de ces aidants que nous avons mis en œuvre les habitats existants (5). Maintenant, les personnes fragiles et leurs proches ne peuvent pas agir seuls et on ne monte pas un projet d’habitat inclusif tout seul dans son coin, au milieu de nulle part. Il faut un porteur de projet combatif, bien identifié, reconnu par les pouvoirs publics et avec une connaissance du territoire pour aller chercher d’autres partenaires. Il faut ensuite trouver un service d’aide à la personne de qualité et motivé puisque cela constitue la vraie différence de l’habitat inclusif par rapport à d’autres modes d’accompagnement. Les porteurs de projets que l’on accompagne aujourd’hui dans la démarche d’ingénierie sociale sont souvent des associations d’aidants et des associations qui cherchent des opportunités foncières pour créer des poches d’habitat inclusif. Ce qui est nécessaire, c’est de créer les conditions pour oser penser différemment l’habitat. L’habitat partagé n’est qu’une partie de la réponse mais la réelle plus-value en termes d’amélioration de la qualité de vie se trouve dans les services professionnels proposés, au travers, c’est une piste, de coopératives de services à la personne, projet national que nous allons expérimenter dans les 24 mois à venir.

L’habitat inclusif est-il plus accessible financièrement ?

Non, ce n’est pas une solution moins onéreuse. Comme dans tout marché qui se développe, les lucratifs vont s’occuper de ceux qui ont de l’argent. Nous, on a choisi de s’adresser à des personnes aux minima sociaux, ce qui n’a pas simplifié notre développement. D’ailleurs, son développement doit s’inscrire dans une volonté de solidarité nationale, sinon, les départements riches feront de l’habitat inclusif, et pas les autres…

Quelle prochaine étape pour consolider cette possibilité d’un autre choix d’hébergement et de vie ?

La transformation de l’ancien monde est en cours, de nouvelles règles sont en train d’émerger et ces règles sont plutôt favorables aux personnes vulnérables. On a un esprit de la loi qui rejoint, enfin, ce qui a été entrepris avec la loi de 2005 sur les droits des personnes en situation de handicap. Il y a une possibilité dans ce cadre législatif d’exercer son droit à l’autodétermination et un espace pour agir en tant que citoyen. On attend que les aides lancées en expérimentation suite au rapport Piveteau Wolfrom deviennent des droits. Pour créer les conditions économiques de l’habitat inclusif, il faut que les aides deviennent des aides individuelles à la vie partagée. Il faut arriver à un modèle qui ressemble à ce qui s’est fait en Allemagne il y plus de 30 ans avec aujourd’hui plus de 4000 habitats inclusifs qui fonctionnent. On en est à 200 en France et l’intention est d’en créer 600 dans les deux années à venir… Il y a aussi un enjeu sur les droits sociaux, différents en France en fonction de votre âge.  Plus de 60 ans, vous êtes vieux, moins de 60 ans vous êtes en situation de handicap ! Il faut donc réussir à aller vers une convergence des prestations, et surtout pas en allant vers le bas, pour pouvoir accompagner les personnes âgées sans trop de reste à charge pour eux. C’est tout le débat du 5è risque… Il faudra un jour que nos concitoyens se posent la question : comment ont-ils envie d’être accompagnés quand ils seront confrontés à leur propre dépendance. Moi, personnellement, j’ai envie d’avoir le choix et cela ne me dérangerait pas d’avoir une deuxième, troisième, quatrième journée de solidarité pour financer ce 5è risque. Il n’est pas possible que la solidarité nationale continue à se reposer sur la solidarité familiale. Encore une fois, les aidants familiaux ne peuvent pas durablement être la variable d’ajustement pour que la perte d’autonomie coûte moins cher à la collectivité…

Propos recueillis par N. Cuvelier

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1)Groupe associatif créé en 2012 pour faire naître des solutions alternatives de logements pour des publics vulnérables, adossé à une Foncière Solidaire créée en 2013 pour la construction de programmes d’habitat. Les premiers investisseurs étaient proches aidants ou sensibilisés à la question. Consulter le site : https://familles-solidaires.com/

2)Aussi appelé habitat partagé et accompagné, il s’inspire d’un mode d’habitat inventé dans les années 70 dans les pays du nord de l’Europe. Son principe : rassembler quelques foyers dans un même lieu de vie, un bâtiment unique ou plusieurs pavillons disposés autour d’espaces partagés. Cet habitat est inclusif car il permet l’intégration de personnes âgées dépendantes ou souffrant d’un handicap (moteur ou psychique) ; il est aussi pensé pour un accès facilité et mutualisé à divers services.

3)La loi ELAN de 2019 a permis de définir le concept et le cahier des charges de l’habitat inclusif, d’identifier le porteur de l’habitat inclusif et de créer un forfait de financements annuels à destination de ce porteur.

4)Denis Piveteau et Jacques Wolfrom ont remis en juin 2020 un rapport intitulé « Demain, je pourrai choisir d’habiter avec vous » dont l’objectif est de faciliter le développement de l’habitat inclusif en imaginant un environnement légal et administratif plus favorable.

5)7 habitats inclusifs en service, 30 personnes hébergés, 80 familles concernées, 16 nouveaux projets accompagnés dans leur développement en conseil et expertise. Par ailleurs, depuis 2018, Familles Solidaires accompagne 10 porteurs de projet dans le cadre de l’appel à projets #LACHPA (Les Aidants Concepteurs d’Habitats Partagés et Accompagnés) avec comme résultat 3 colocations ouvertes et 4 habitats en cours de construction en l’espace d’un an et demi.

D’autres belles initiatives se développent autour du concept de Béguinage, citons par exemple Béguinage Solidaire et Béguinage&Compagnie. Lire aussi l’article paru dans Le Monde.

 

Mylène Merchez

« Un secteur du domicile en première ligne, oublié du système ? »

Les Services d’Aide à Domicile (SAD) ont été mis en lumière à l’occasion de la crise sanitaire. Grâce à leurs intervenants, aide-ménagères, auxiliaires de vie, assistantes de soins en gérontologie, nombre de personnes âgées ou malades accompagnés dans certains actes de leur vie quotidienne (1), peuvent ainsi continuer à vivre chez elles. Responsable de l’ADMR de Berck, Mylène Merchez gère 45 salariés qui interviennent auprès de 350 bénéficiaires. « Je voulais rester dans le domaine du social, être au plus près du terrain, tout en assumant des responsabilités d’encadrement d’équipe. Aujourd’hui, j’ai l’impression de devoir tous les jours relever des défis. » Témoignage…

Avec toutes les difficultés rencontrées à établir nos plannings d’interventions au domicile, on en arrive à oublier que notre métier est de répondre au mieux aux besoins de service de nos bénéficiaires… Je suis dans ce difficile équilibre entre la qualité de vie au travail des salariés et le bien-être des usagers.

La crise sanitaire a braqué les projecteurs sur les soignants en milieu hospitalier, les personnels des Ehpad et, avec un peu de retard, les intervenants du domicile. Pourtant, le confinement a très vite révélé la précarité de certaines situations du domicile, dès lors que ces personnels manquaient à l’appel. La crise a permis de montrer qu’ils sont en première ligne et que les Services d’Aide à domicile ou Service de Soins Infirmiers à Domicile (SSIAD) ont tenu leur rôle, notamment en sortie d’hospitalisation. En parlant de précarité, c’est aussi tout un secteur dont on a découvert les difficultés. Un secteur qui, avec le vieillissement de la population, l’augmentation des maladies chroniques et les politiques de maintien à domicile, pourrait embaucher bien plus qu’il ne le fait actuellement.

Le casse-tête du recrutement et l’insuffisante valorisation du métier

« C’est un secteur éprouvé, en flux tendu avec un fort turn over des personnels et de nombreux arrêts maladie. Les journées sont à rallonge avec des amplitudes horaires importantes et des week-ends travaillés pour à peine le SMIC », confie Mylène pour expliquer le peu de candidats, et encore moins de candidats par vocation. « Pour offrir de meilleures conditions de travail, il faudrait davantage de personnels ce qui permettrait de mieux aménager les plannings et anticiper les besoins. Mais pour attirer plus de monde vers ce secteur, il faut améliorer les conditions d’exercice du métier. On tourne en rond et en tant que responsable, j’ai le sentiment que mon travail, c’est la résolution de problèmes, dans l’urgence. » Au domicile comme en Ehpad, ce sont les bras qui manquent et cela crée de l’insatisfaction du côté des personnels et des bénéficiaires. « Cela fait 5 ans que je suis à ce poste et c’est toujours le casse-tête du recrutement et de l’insuffisante valorisation du métier qu’il faut gérer, en trouvant certains leviers de recrutement (2), par exemple, des plannings permettant aux salariés de mieux gérer leur vie de famille ou un complément d’emploi à temps partiel. » En trouvant aussi des solutions à l’échelle locale, par exemple via des contrats d’apprentissage (3) … « C’est un métier qui ne doit pas être subi ou choisi par défaut, sinon, on ne tient pas, notamment les plus jeunes qui veulent avant tout pouvoir concilier ce travail avec leur vie familiale mais aussi leurs loisirs. Ils ont ainsi plus de mal à accepter les horaires atypiques et les week-ends. » Une étude faite par des étudiants auprès de SAD du territoire a montré que ce n’est pas la reconnaissance salariale qui est le plus souvent évoquée mais la reconnaissance de leur utilité sociale. « Ne plus être considérés comme les oubliés du système », c’est ce que la crise a révélé (3).

Entre qualité de vie au travail et bien-être des bénéficiaires et proches aidants

Les bénéficiaires nous sont adressés par les assistantes sociales des hôpitaux, souvent dans l’urgence d’une sortie d’hospitalisation, les tutelles, les enfants qui veulent être rassurés, rarement les conjoints qui pensent pouvoir gérer par eux-mêmes. Ils sont également adressés par le Département qui déclenche des plans d’aide, et les financements qui vont avec, dans le cadre de l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (4). L’activité de ce secteur est encadrée par le Département qui fixe pour les bénéficiaires de l’APA le coût horaire de l’intervention et le temps requis pour les différentes aides de la vie quotidienne. « Les bénéficiaires se plaignent de passages trop rapides, d’un service rendu qui ne répond pas à toutes leurs attentes. Ils voudraient avoir toujours la même personne, aux jours et horaires qui leur conviennent. Ils ne supportent pas trop le changement. Avec toutes les difficultés rencontrées à établir nos plannings d’interventions au domicile, on en arrive à oublier que notre métier est de répondre au mieux aux besoins de service de nos bénéficiaires… Je suis dans ce difficile équilibre entre la qualité de vie au travail des salariés et le bien-être des usagers. » Mylène le reconnaît, les problèmes de recrutement ont pu la pousser à privilégier l’aménagement des plannings des personnels. Ceux-ci n’en peuvent plus d’être la principale variable d’ajustement. Pour remédier à cette baisse de la qualité de service, Mylène a embauché un agent qualité qui passe au domicile relever les besoins exprimés par le bénéficiaire, un bénéficiaire, on peut le comprendre, qui ne veut pas attendre 11h pour son aide à la toilette parce qu’en faisant tourner les plannings, aucun passage n’est possible avant !

L’intervenant du domicile ne peut pas se substituer à des proches

« L’autre demande de nos bénéficiaires, c’est que les intervenants aient plus de temps. Il faudrait pouvoir ajouter du temps de convivialité au temps technique de réalisation des services à la personne. Ce serait aussi un moyen de libérer du temps pour les proches aidants parfois épuisés. » Mais, à ce jour, il n’y a pas de financement pour ce temps-là, qui n’a pas de prix pour les personnes isolées… « C’est fini le temps où l’on pouvait attribuer une personne référente et toujours la même… Oui, un lien affectif pouvait se créer. Mais l’intervenant du domicile ne peut pas se substituer à des proches. Malgré tout, les intervenants prennent le relai, du mieux qu’ils peuvent mais ils ne peuvent pas et ne doivent pas combler tous les manques en terme affectif de la personne isolée. J’ai une salariée qui va chez la même personne depuis plus de 10 ans. Forcément, il y a eu des fous rires, des souvenirs, de la peine partagés, tout ça ancré dans le temps. Les personnes vulnérables sont hyper attachantes. J’ai vu des scènes émouvantes au domicile. Mais comment je fais, moi, pour gérer mon association qui est une petite entreprise, tout en restant dans l’humain ? Beaucoup de responsables de structures sont en souffrance parce qu’ils n’ont pas les réponses… » Malgré toutes ces difficultés, Mylène a pu compter pendant la crise sur un noyau de salariés qui ont fait preuve d’une belle solidarité, déterminés à montrer qu’ils ne sont pas arrivés dans ce métier faute de mieux… Elle-même fait la part des choses car c’est un métier qu’elle a choisi et qu’elle n’entend pas subir. « C’est un métier très enrichissant de par les relations humaines avec les bénéficiaires, leurs proches, les salariés, les échanges et collaborations avec différents partenaires. Je dispose d’une autonomie dans la conduite de projets destinés à améliorer l’accompagnement des bénéficiaires et le bien-être au travail. Cette richesse humaine m’apporte une bouffée d’oxygène et m’aide à gérer les difficultés quotidiennes. »

Propos recueillis par N. Cuvelier

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1)L’entretien du logement et du linge, l’aide au lever, à la toilette, aux courses, la préparation des repas, l’aide au coucher. Les aides à domicile peuvent également accompagner les personnes âgées lors de sorties et faciliter le maintien d’une vie sociale.

2)Dans les leviers de recrutement possibles, certaines structures envisagent la mise à disposition de véhicules de service

3)Localement, une expérimentation est menée avec les ADMR de Berck et Rang-du- Fliers, l’Institut Régional de Travail Social d’Étaples et Pôle Emploi.

4)Après les soignants, les intervenants du domicile ont reçu une prime covid en reconnaissance du travail accompli. Cette prime a été calculée et versée par le Département, avec des variations importantes d’un territoire à l’autre. Dans le Pas-de-Calais, les 2500 aides à domicile ont reçu 1500€. « Un très bel effort », reconnaît Mylène, « mais c’est bien une revalorisation des salaires à long terme qui est nécessaire ».

5)Différentes aides sont possibles pour aider à financer les interventions d’aide à domicile, sous réserve de remplir les différents critères d’éligibilité : l’APA (allocation personnalisée d’autonomie), l’aide-ménagère, les aides fiscales, les aides des caisses de retraite, les aides des complémentaires santé.

 

Delphine Bernard

« L’écoute, ça fait un bien fou ! »

« J’ai reçu beaucoup de conseils ces dernières années, beaucoup de « vous êtes trop » ou « vous n’êtes pas assez » et puis j’ai appris à me faire davantage confiance. » Maman de Léo, 12 ans, atteint de divers troubles associés dont celui du trouble de la mémoire du travail (1), Delphine a frappé à de nombreuses portes afin de comprendre ce qui se passait. C’est une rencontre récente avec une psychologue qui a marqué un avant et un après dans son parcours de maman aidante. « Le répit, ça ne se décrète pas mais je sais maintenant ce qui me permet à la fois de me retrouver et de partager avec d’autres. » Témoignage…

« On parle beaucoup du handicap mais, quand on le vit, on se sent encore seul. » Seule et avec l’impression d’être peu écoutée, voilà ce que retient Delphine des nombreuses années passées à chercher « ce qui n’allait pas » dans le comportement de Léo, bébé sans tonus, comme absent, avec lequel Delphine avait le sentiment de « perdre le contact ». En grandissant, enfant angoissé et agité, dormant très peu. « En rentrant de l’école où il ne communiquait pas, il hurlait, on avait l’impression d’avoir lâché un fauve dans la maison », se souvient Delphine. A l’époque technicienne de l’intervention sociale et familiale (2), Delphine a entendu du corps médical qu’elle ne séparait pas assez son travail et sa vie personnelle, qu’elle était trop fusionnelle, trop à l’écoute. Tous ces « trop » ajoutaient à sa confusion plus qu’ils ne l’aidaient. Avec le recul, elle pense que le corps médical était lui aussi démuni. A mesure que les terreurs nocturnes de Léo augmentaient, Delphine s’est tournée vers des centres spécialisés (3) pour être accompagnée par des professionnels. « J’ai poussé des portes parce que j’avais besoin, en tant que parent, de réponses à mes questions, j’avais besoin de comprendre pour mieux accompagner Léo et l’aider à être plus serein… »

Effet ricochet et goutte de trop…

C’est lors d’une consultation avec un neuro pédiatre à Lille que « tout s’est déclenché » : un diagnostic était posé. Léo a pris un traitement qui l’a apaisé et qu’il a pu arrêter après un certain temps. A l’accompagnement de professionnels, psychologue, psychomotricienne, ergothérapeute, s’est ajoutée la présence indispensable d’assistantes de vie scolaire et la bienveillance de deux directeurs d’école, familiers du handicap.  « On nous avait dit : « les études, n’y comptaient pas », et pourtant Léo est au collège avec un directeur qui revendique le droit à l’échec, à la deuxième chance. » Aux côtés de Léo, présente comme peut l’être un parent, Delphine n’a pas pu concilier vie personnelle et travail. Elle a développé une maladie inflammatoire articulaire assez invalidante à certaines périodes et arrêté de travailler. Plus récemment, l’impact des mesures liées au confinement sur leur quotidien a fortement perturbé Léo et, par effet ricochet, sa maman. Delphine a souffert de malaises à répétition jusqu’à ce qu’un spécialiste découvre une colopathie fonctionnelle. C’est peut-être cette goutte de trop qui a décidé Delphine à accepter une aide extérieure pour elle-même cette fois-ci. « Je ne pouvais plus continuer comme cela et j’en avais pris conscience… »

Pas de recette miracle

A court de munitions en termes de combativité, c’est encore une rencontre, avec une psychologue, qui a remis Delphine en mouvement. « L’écoute, ça fait un bien fou ! Enfin dire les choses, comme on les ressent, à un moment donné… les poser sur la table pour commencer à en faire le tri, pour commencer à les voir autrement. Sans cette expression, tout est brouillon dans sa tête, plus rien n’a de sens. Je n’avais jamais vraiment parlé, même à mon conjoint, pour le préserver, pour qu’il reste fort. C’est lui qui prend le relais quand je ne peux plus. Quand je vais mieux, il se met en retrait et reprend des forces. Pendant toutes ces années, j’ai reçu tant de conseils. J’avais envie de dire : « et vous, comment feriez-vous… prenez ma place, faites ». Il n’y a pas de recette miracle… Quand on est personnellement confronté au handicap, tout est plus difficile. Dans mon métier, remplir les dossiers de la Maison Départementale des Personnes Handicapées ne me posait aucun problème. Quand je le fais pour Léo, je dois tous les deux ans prouver qu’il a toujours un handicap et je suis dans l’angoisse que les aides ne lui soient pas accordées. Et je ne parle là que de difficultés administratives… On fait comme on peut, avec notre propre histoire. J’ai aussi appris à me préserver des autres et à me faire davantage confiance. »

Une activité équilibrante

Depuis plusieurs mois, entre les échanges avec la psychologue et ceux au sein d’un café des aidants, Delphine est vraiment dans cette réflexion de savoir ce qu’elle fait maintenant non pas « à cause » de son histoire mais « grâce » à son histoire. « J’ai rencontré cette psychologue au bon moment. Je n’aurais pas eu la même motivation, la même envie, cinq ans avant. On a besoin de cheminer. On passe par le déni, après par la colère, nécessaire je pense, et puis une forme d’acceptation. Au contact d’autres aidants, je me sens moins seule.  On a tous ressenti la difficulté à être réellement accompagné, le manque d’écoute, la complexité des démarches administratives et l’épuisement à un moment ou à un autre. » S’il n’y a pas de recette miracle pour être un aidant, Delphine a néanmoins découvert que sa passion pour la cuisine pouvait être sa bouffée d’oxygène. Afin de diminuer l’inconfort de sa colopathie, elle s’est formée à une cuisine appropriée à cet état. « J’ai dû revoir toute mon alimentation, apprendre à cuisiner autrement. J’ai pris cela comme un défi et je me suis aperçue que ces recettes avaient en plus du goût ! J’ai pris confiance en moi. C’est une activité équilibrante, un moment à moi… »

 La cuisine du partage

 Delphine a eu une première occasion de proposer des biscuits de sa création lors d’un goûter des aidants. « Je les ai disposés sur la table et j’ai laissé les personnes les déguster. Tout le monde en a apprécié la saveur gourmande, surpris par les ingrédients utilisés (4). A ce moment là, j’ai ressenti une telle satisfaction et un vrai plaisir à parler de cette cuisine différente ! Ce plaisir, je le retrouve quand je cuisine et quand je crée une recette. La recherche qu’il y a autour d’une recette est tout aussi jouissive. Je me retrouve dans une bulle et j’oublie tout le quotidien. C’est mon échappatoire. » Delphine a ensuite eu la satisfaction d’organiser un atelier autour de la cuisine sans fermentation à l’occasion d’un rendez-vous entres aidants (5). « J’ai pu partager avec enthousiasme ma cuisine et mes conseils trois heures durant. » La cuisine mène au partage et c’est bien pour cela qu’elle appelle sa petite entreprise en devenir la cookshare.  Delphine a toujours aimé cuisiner mais peut-être l’avait-elle oublié en chemin, avant d’en retrouver le goût, pour elle et pour les autres. Elle s’inspire d’ailleurs aussi de recettes de son enfance qu’elle « réinvente » pour convenir à son régime alimentaire. C’est auprès de personnes qui ont elles aussi besoin de s’échapper d’un quotidien « par moment lourd et pesant » que la cuisine du partage est née et c’est dans cadre que Delphine veut faire évoluer son projet.

Les « c’est trop bon » ont réconcilié Delphine avec les « trop ceci », « trop cela » qui lui avaient tant fait perdre confiance en elle et en sa capacité, avec l’aide de son conjoint et de professionnels bienveillants, d’accompagner Léo, avec les forces et les faiblesses d’une maman…

Propos recueillis par N. Cuvelier

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1)Ou dysmnésie

2) Elles accompagnent au domicile des familles confrontées à des difficultés pouvant parfois affecter l’équilibre de la famille, le lien parental, la protection de l’enfant et son développement

3) Centre d’Action Médico-Sociale Précoce (CAMSP) puis Centre médico psychologique (CMP) pour les enfants au-delà de 6 ans. Ces centres proposent aux personnes en souffrance psychique une offre de soins médico-sociaux pris en charge par la sécurité sociale

4) Sans trop révéler de ces recettes bien-être, Delphine utilise beaucoup des farines de riz, maïs, millet quinoa

5) Organisé par la plateforme territoriale des aidants du Calaisis

Plus d’information sur la cookshare : lacookshare@free.fr