Le monastère Santa María la Real est situé en Espagne, dans la montagne Palentina. Sa renaissance doit tout à un passionné de patrimoine qui a eu une vision au début des années 70. Après quatre décennies d’un développement exemplaire, c’est aujourd’hui l’un des centres de référence dans la recherche, la diffusion et la réhabilitation du patrimoine culturel. C’est aussi une fondation qui emploie 226 personnes et travaille à l’amélioration de la société à travers la mise en œuvre de projets et d’initiatives innovantes dans trois domaines : les personnes, le patrimoine et l’environnement. Paula Conté et Lucia Delenikas y travaillent toutes deux sur la partie Culture et Héritage. Elles reviennent sur l’histoire d’une ruine qui a été patiemment reconstruite pour devenir un centre de formation aux métiers du patrimoine, un centre de référence sur le patrimoine roman, un lieu de retraite et d’inclusion pour les personnes âgées et défavorisées, un hôtel et une activité de start-up technologique dans le monitoring de la préservation et de l’entretien des monuments historiques. D’une ruine peut naître un espoir de développement territorial…

Quelle est l’année de démarrage et l’origine du projet de renaissance ? Le monastère était-il réellement une ruine à cette époque ?

En 1973, José María Pérez Peridis, à l’origine de l’aventure, décide de réunir quelques amis et des professionnels de la ville d’Aguilar de Campoo, avec comme projet un peu fou mais visionnaire, de reconstruire le monastère Santa María la Real, qui était alors complètement en ruine, et d’en faire, à l’occasion de ce chantier, un centre de formation pour les apprentis dans les différents métiers du bâtiment. C’est ainsi que sont nées les écoles ateliers sous l’égide d’une Fondation créée à ce but. L’ Asociación de Amigos del Patrimonio (Association des Amis du Patrimoine) a été créée quatre ans après afin de promouvoir la sauvegarde du patrimoine historique et sa valorisation. Le cadre juridique de la Fundación Santa María la Real (FSMLR) a été mis en place en 1994 et notre projet s’est développé en 2014 après la fusion avec la Fundación del Patrimonio Histórico de la région Castilla y León.

Pouvez-vous nous décrire en quelques phrases le monastère et nous donner envie de nous y rendre ?

Aujourd’hui, notre monastère est un endroit de visites, d’expositions et de rencontres, mais également la base de notre développement d’activités économiques complémentaires. Nous regardons le monastère comme une porte ouverte, une vitrine sur le patrimoine roman de la région. Nos historiens et amis du patrimoine sont toujours ravis de partager leur passion pour le passé du monastère et pour toutes les églises romanes des alentours. Le monastère se trouve dans la province de Palencia, dans le Parc naturel de la Montagne Palentina qui est un lieu de randonnée. Notre monastère est un lieu de culture et de formation mais aussi un lieu qui suscite de l’émotion. Ceux qui le découvrent sont aux anges à l’idée d’y revenir !

Quels avaient été dans l’histoire le rôle premier et l’activité principale de ce monastère ?

L’origine du monastère est cachée dans les brumes du haut Moyen Âge, plus précisément au milieu du IXe siècle. Selon la légende, la fondation du monastère est liée à un hasard presque miraculeux : un chevalier et un abbé qui se promenaient dans une forêt ont trouvé dans deux grottes des reliques et des autels.  En 1169, le roi de Castille Alphonse VIII et quelques nobles, qui supportaient économiquement le monastère, ont remis les reliques à L’Ordre de Prémonté, et c’est ainsi que la restauration du monastère et sa grandeur et renommée ont commencé. En revanche, cela a été dramatique pour la petite communauté de moines qui l’habitait jusque-là, expulsée en échange de petits revenus pour laisser la place et installer le nouvel ordre. Le monastère est devenu l’un des plus importants du plein Moyen Âge : il n’était pas claustral, mais sa fonction était de prêcher et de former le bas clergé, dont les capacités intellectuelles étaient jusque-là très insuffisantes. Ce travail d’implication directe avec les habitants a été un autre héritage assumé par la FSMLR dans son ancrage et son rôle sur le territoire.

Aujourd’hui, quelles sont les principales activités portées par la Fondation qui gère le monastère ?

Depuis sa naissance, la Fundación Santa María la Real a diversifié d’une manière assez intéressante ses domaines d’activités. Aujourd’hui, elle propose des cours autour du patrimoine roman, publie des ouvrages et organise des voyages culturels partout en Europe et fabrique des ornements en relation avec l’histoire et le patrimoine. En lien avec les acteurs de la sauvegarde du patrimoine, la Fundación a également developppé un système technologique (MHS), qui offre des services innovants de conservation préventive du bâti. D’une part, elle accompagne la restauration et la reconversion des patrimoines d’Art Roman le nécessitant ; d’autre part, son système MHS lui permet de monitorer les monuments historiques et de prévenir leurs dégradations le plus en amont possible. Son laboratoire pour tester et mettre au point ses technologies et services est une petite chapelle romane située près du monastère !  Un de ses clients est la ville de Carthagène en Colombie… A côté de ses activités au service du patrimoine, la Fundación gère d’une part deux résidences de bien-être et soins sociaux pour les personnes âgées situées à Aguilar de Campoo et à Léon ; d’autre part un département emploi et inclusion sociale pour aider des personnes défavorisées à entrer dans le marché du travail. Elle a également lancé un hôtel dans l’enceinte du monastère, aujourd’hui géré par une entreprise spécialisée dans l’activité hôtelière. Enfin, nous participons à des projets d’innovation recherche dans nos domaines d’activités : le patrimoine, la formation, l’emploi et l’accompagnement des personnes âgées.

Parmi ces activités, quels sont celles qui s’inspirent le plus de l’histoire ou des valeurs passées ou actuelles du site ?

Nous travaillons pour la mise en valeur du patrimoine sous toutes ses formes, pour en faire un atout et non pas une charge : tout comme le monastère a été un point de référence de culte et d’éducation à ses origines. Parmi les activités de la FSMLR, les plus liées à l’histoire du patrimoine roman en Espagne sont celles de la conservation du patrimoine, des cours, des publications et des voyages culturels.

Certaines activités correspondent-elles plus aux besoins du territoire ou de l’époque ?

L’objectif principal de la FSMLR est de contribuer au développement du territoire et à la valorisation des personnes qui y vivent, à travers les différentes actions qu’elle entreprend. Nous sommes toujours très attentifs aux besoins socio-économiques et aux changements qui se produisent, en cherchant à répondre de manière efficace et novatrice aux défis qui apparaissent. Chaque département de la FSMLR tient toujours compte de la réalité du terrain dans le développement de son activité spécifique. À cet effet, les technologies et la digitalisation jouent un rôle essentiel dans les solutions offertes, par exemple dans le domaine de la conservation préventive du patrimoine ou dans la formation pour l’insertion professionnelle.

D’un lieu en ruine à une ruche d’activités, donnez-nous quelques chiffres illustratifs et exemplaires de ces quarante année de développement ?

Chaque année, la Fundación publie les rapports d’activité et les plans d’action de ses différents départements. Pour avoir une idée du travail accompli et de notre impact, on peut noter que notre modèle d’écoles ateliers a été exporté en Amérique latine, en Afrique et en Asie et citer quelques chiffres : 370 livres et publications, 60 prix nationaux et internationaux, 3 100 emplois créés, 710 000 participants aux programmes pour l’emploi, 200 places en résidences pour les aînés…

Quel est le rôle de la fondation en matière d’insertion par le patrimoine et de développement territorial, en tant qu’opérateur touristique et entrepreneurial et, dans l’organisation de la mobilisation des habitants autour d’un projet patrimonial et touristique ?

Le patrimoine historique romane est la quintessence, la raison d’être de la FSMLR. Mais chacun de ses départements dans leurs différentes activités essaient de promouvoir l’insertion par le travail et le développement territorial. La ville d’Aguilar de Campoo s’est développée au fil des années grâce aux activités offertes par la Fundación et le monastère : les visites guidées, les cours, les expositions, les évènements culturels… Les cours sur le patrimoine roman organisés à Aguilar de Campoo depuis 1987 ont aujourd’hui un prestige international : 5 % des étudiants sont originaires des États-Unis, d’Angleterre, du Mexique ou de la France ; plus de 500 chercheurs des universités nationales et étrangères les plus prestigieuses y ont pris la parole. En outre, des experts médiévalistes de prestige ont mis sur la carte le monastère d’Aguilar de Campoo. Chaque année, des événements sont organisés pour les enfants, les jeunes gens ainsi que pour les adultes dans la maison centrale de la FSMLR pour faire connaître nos différentes activités. Nos historiens, tous venus du territoire, accompagnent chacun de nos  voyages culturels.

Vous êtes une organisation privée, quel est votre budget annuel et comment réussissez-vous à rester financièrement indépendant ?

Notre budget actuel est de 12 millions d’euros, avec environ 3,3 millions d’euros pour la Culture et le Patrimoine, 3,7 millions d’euros pour l’Emploi et l’inclusion sociale, 500 000 euros pour l’environnement et 4,5 millions d’euros pour l’accompagnement des personnes âgées. Nous sommes totalement autonomes financièrement car la moitié des ressources financières de la FSMLR provient de recettes propres directes (cours, publications éditoriales, voyages, maquettes, services aux personnes âgées, prestations de conservation préventive des monuments, gestion des musées, revenus liés à l’activité d’hôtellerie) qui nous permettent de couvrir intégralement nos dépenses fixes de fonctionnement. L’autre moitié provient de prestations correspondant à des services réalisés pour le compte de tiers, financés par des fonds publics et privés (FSE, FEDER, Next Generation, fonds propres des administrations publiques et d’entreprises) qui nous sollicitent pour accompagner la reconversion de patrimoines d’art Roman et le développement de la RSE en entreprise. L’équilibre entre ces différentes sources financières nous offre une stabilité qui nous permet d’agir avec des équipes de travail stables et consolidées, tout en conservant le sens et les valeurs de notre fondation qui emploie 226 personnes.

Comment avez-vous financé la restauration du monastère tout en formant des jeunes ? 

Au commencement, la restauration du monastère a été accomplie grâce au volontariat de voisins et d’amis de José María Pérez Peridis. Par la suite, face aux maigres ressources financières des années 80 et l’impossibilité de faire venir des ouvriers expérimentés, la restauration s’est faite avec le recours à l’embauche de jeunes de la région sans aucune formation aux métiers traditionnels nécessaires (maçonnerie, forge, menuiserie, etc.). Ces jeunes se sont peu à peu formés à l’ombre de grands maîtres. Comme le résultat obtenu a été au-dessus de toute attente, José María Pérez Peridis a eu l’intuition que si ce système se développait dans un programme plus structuré et soutenu par des institutions publiques, de nombreux autres monuments avec un besoin urgent d’être restaurés pourraient en bénéficier. Le programme a pu voir le jour et se développer grâce à l’apport d’aides publiques européennes et c’est ainsi que sont nées, en 1985, les écoles ateliers. Architectes, musiciens, archéologues, designers, animateurs culturels, etc., en plus d’avoir leur première opportunité professionnelle, assumaient en grande partie la responsabilité de l’ouvrage et recevaient un salaire.

Quel est votre rôle sur le territoire, à quels publics vous adressez-vous en priorité ?

Le monastère est le site le plus visité d’Aguilar de Campoo (TripAdvisor) et la FSMLR reçoit tout type de publics : familles (30%), seniors (55%), jeunes et écoliers (15%). On doit reconnaître que nos sympathisants et nos clients sont souvent des adultes très intéressés par le patrimoine et la culture : ils achètent nos publications, participent à nos cours et nos voyages. Cependant, nous organisons aussi des activités pour attirer un public plus jeune, ce qui sera déterminant pour l’avenir de la région (ateliers, journées portes ouvertes aux enfants, visites théâtralisées…).

Quelles sont selon vous les principales difficultés rencontrées pour restaurer et faire revivre un grand patrimoine en ruralité ?

Les ressources économiques sont essentielles. Les entités privées ont des ressources très limitées, il est donc important d’analyser et de travailler très bien toutes les questions de gestion de l’entité ainsi que la stratégie à long terme. Il faut développer des projets de qualité et obtenir des résultats afin d’assurer la crédibilité et la solidité économique et de réunir ainsi davantage de partenaires. Les aides publiques sont importantes, mais les modèles de partenariats public-privé le sont aussi. Dorénavant, c’est un chemin d’essais, d’erreurs, d’adaptations et d’efforts constants.

Quelles ont été les clés de succès du projet de la Fundación Santa Maria la Real ?

La clé principale du succès de la Fundación a été et continue d’être, sans aucune doute, José María Perez Peridis. Architecte, caricaturiste politique, écrivain, paneliste radiophonique… c’est un homme fier de ses racines et tourné vers l’avenir.  Sa persévérance, sa passion, sa détermination et ses innombrables contacts à tous niveaux ont permis le développement de la FSMLR jusqu’à aujourd’hui. Son exemple est pour nous tous le phare qui nous montre le bon chemin. Grâce à lui et à tous les collègues qui ont soutenu la restauration du monastère, nous avons une équipe de professionnels engagés, ce qui se remarque chaque jour. José María Pérez Peridis nous a enseigné que même une ruine peut devenir un espoir…

La Chartreuse vous a contacté sur un projet européen de création de nouveau modèle économique pour les grands patrimoines en ruralité, en quoi cela vous semble pertinent ?

De nos jours, les gens se détournent de plus en plus des zones urbaines surpeuplées. Dans la Fundación, nous croyons que le patrimoine (quel que soit son type : historique, tangible, intangible…) doit être mis en valeur et connu par tous. Les organisations comme les nôtres sont responsables de le faire de manière durable. Connaître notre passé et notre patrimoine, c’est connaître notre histoire, c’est apprendre à mieux nous connaître. Passer d’une charge à un actif est possible : c’est la raison pour laquelle la FSMLR voudrait partager et transmettre le message de notre apprentissage à l’ensemble de la société, quelles que soient les frontières.

Propos recueillis par Nathalie Cuvelier