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Directeur de projets stratégiques Patrimoine et Tourisme au cabinet du Directeur général délégué du Groupe Caisse des Dépôts et Directeur de la Banque des Territoires, Christophe des Roseaux est en charge notamment de la définition d’un plan visant à favoriser la valorisation des sites et monuments remarquables par l’économique. La Banque des Territoires est la marque ombrelle venant couvrir toutes les activités du Groupe Caisse des dépôts en direction des territoires faisant notamment du tourisme un levier privilégié de création d’activités sur tous les territoires. Elle propose des expertises de conseil et de financement à destination des acteurs territoriaux. « Nous avons un rôle d’ingénierie, puis nous intervenons en investisseurs et comme prêteurs pour faciliter la réalisation de leurs projets structurants. » Dans cet entretien, il parle des équilibres à trouver pour la pérennisation des modèles de renaissance de ces lieux ancrés dans leur territoire.
Ces patrimoines sont des marqueurs d’identité de ces territoires, et comme ils sont une expression de leur histoire, ils sont des sources d’identité, d’intégration et de fierté pour leurs habitants. À travers eux, il s’agit de retranscrire ce que le territoire a été, ce qu’il est et ce qu’il pourrait être avec une transformation des usages. En ce qui concerne La Chartreuse de Neuville, il ne s’agit pas de maintenir le lieu dans ce qu’il a été (vocation religieuse, artistique, hospitalière), mais de savoir à la fois conjuguer et transgresser histoire et identité pour en faire un lieu qui vit autrement, dans son temps, au service du maintien du patrimoine et du développement du territoire.
C’est important de faire vivre ces lieux, de faire connaître leur histoire. On ne peut pas les laisser vides de sens, il faut en tirer parti comme une composante et un atout du territoire. Étant donnée la taille de La Chartreuse de Neuville, ce serait du gâchis de ne s’occuper que de la restauration ou du maintien dans l’état, sans penser aux usages nouveaux qui se prêtent au lieu, en fonction des besoins exprimés par le territoire. Ces lieux ont joué un rôle différent selon les époques, avec une résonance et un impact et ils peuvent, encore aujourd’hui, servir la cause des territoires. Ce serait dommage de casser ces dynamiques. En ce sens, les bâtiments doivent pouvoir dépasser la problématique de la charge et de la contrainte de l’entretien et c’est tout l’enjeu de la renaissance de ces lieux et de leur rayonnement sur le territoire.
C’est un équilibre subtil à trouver mais ce serait aussi dommage qu’ils soient réservés à une partie de la population, à une clientèle et pas une autre. Quand on regarde le parcours ou le désir d’un visiteur étranger sur les territoires, c’est bien d’en ressentir les spécificités, ce visiteur a donc besoin de découvrir des lieux mais aussi les habitants, des lieux habités par une histoire, du sens et des usages. Un lieu qui serait hors sol, non connecté à son territoire et son histoire plus générale, serait d’une attractivité relative. Le sens du tourisme, c’est de découvrir un territoire au travers de la population et des lieux emblématiques. Ces pôles d’attraction doivent optimiser les retours, sur investissement si je puis dire, à la fois pour les visiteurs et le territoire. Le lieu patrimonial est un point de médiation privilégié entre l’extérieur et le local.
Quand on interroge avant leur séjour en France les visiteurs internationaux sur leurs motivations, ils déclarent en majorité un intérêt pour le patrimoine. Le patrimoine est multiple, matériel et immatériel mais c’est bien ce qui résonne en premier et le patrimoine bâti est un élément d’attractivité très fort. Ce qui est à la fois une difficulté, un enjeu et une opportunité, c’est qu’il y a un gros écart entre ce « désir de France » et la réalité de l’expérience vécue. Elle est souvent décevante, pour plusieurs raisons, et en étant un peu caricatural, la Révolution française a vidé nos châteaux et nos églises. Ce n’est pas le cas du patrimoine historique anglais avec des sites entièrement meublés, où le visiteur a l’impression d’être attendu pour le thé. En France, et ça peut aussi être une opportunité, ces sites sont souvent vides, et il faut trouver les moyens de les faire vivre quitte, encore une fois, à trouver des activités actuelles, si possible en résonance avec l’histoire du lieu sinon avec les besoins du territoire. D’un inconvénient, on peut aussi en faire une liberté.
L’ambition est un peu contenue dans son nom, Banque des Territoires, et c’est ce qui a prévalu à sa création. Les sites et monuments remarquables sont des points de départ et de gros vecteurs de création d’activités, d’où notre intérêt et attention, et dans un contexte où l’argent public se raréfie. Il faut trouver d’autres voies et moyens pour les maintenir avec deux ambitions, préserver l’histoire qu’ils portent et créer de l’activité qui va permettre de suppléer à cette absence d’argent public pour la préservation des sites. La Banque des Territoires est un investisseur et un prêteur, ce n’est pas un subventionneur. Elle intervient avec des fonds propres de la Caisse des Dépôts, qui sont une part du résultat global du Groupe et, comme nous sommes une structure sans actionnaires, nous n’avons pas de dividendes à reverser à qui que ce soit. Cela nous permet d’investir patiemment mais nous en attendons bien sûr un retour et, en tout cas, à un moment donné, la possibilité de nous désengager des opérations pour pouvoir réinvestir ailleurs. Nous sommes aussi prêteurs, et cela avec l’argent des Français, puisque l’on prête sur les fonds d’épargne. Il est donc nécessaire qu’il y ait une viabilité et une pérennité. Notre positionnement nous distingue de l’intervention publique se faisant selon des fonds versés sans retour direct attendu, la « rentabilité » de l’argent public se retrouvant davantage dans les retombées économiques. D’ailleurs, nos rôles sont complémentaires et sur des opérations compliquées, nous sommes toujours soucieux d’associer dans la mesure du possible de l’argent public qui vient atténuer les surcoûts et charges supplémentaires, inhérentes à ces sites remarquables que l’activité ne peut assumer. Enfin, comme nous n’intervenons jamais seuls, généralement en position minoritaires, nous avons un rôle d’entraînement et de facilitateur auprès d’autres investisseurs traditionnels qui doivent s’y retrouver.
Nous sommes sur des sites qui comportent des contraintes, avec un bâti existant qui n’aide pas la création d’activités qui se développeraient plus facilement sur un bâti dédié, avec des volumes plus adaptés et des matériaux modernes plus performants pour répondre à l’enjeu actuel des économies d’énergie. Il y a aussi la contrainte de toutes les autorisations et règles exigeantes régissant ces sites et monuments remarquables qui peuvent introduire des délais supplémentaires à l’instruction traditionnelle des projets immobiliers et accroître certains coûts. Il faut aussi trouver des opérateurs exploitants maîtrisant des concepts pour développer des activités en capacité de faire face aux surcoûts d’exploitation liés aux contraintes de ces lieux. Enfin, quand on parle de tourisme, c’est une activité à marge faible, généralement marquée par la saisonnalité et soumise à des aléas comme nous l’avons vu ces dernières années avec la crise sanitaire. Le tourisme est donc un levier privilégié de développement mais qui reste fragile, encore plus quand il s’agit de lieux où les coûts de transformation sont plus importants que sur une opération de création immobilière. L’équation est compliquée à résoudre, mais nous y parvenons sur des lieux publics comme le Château fort de Sedan le Château de Versailles avec la création à chaque fois d’une hôtellerie, le Hangar Y à Meudon (92), dernier hangar à dirigeables existant transformé en un lieu événementiel, ou des lieux privés, comme la caserne de pompiers de Chanzy, juste en face de la cathédrale de Reims, ou la caserne de gendarmerie de Troyes, transformées là aussi en hôtels. C’est faisable avec une mobilisation de tous et c’est parfois difficile et très long avec les propriétaires publics qui intègrent encore insuffisamment les codes business si je puis dire. En revanche, la vraie barrière qui existait entre culture et tourisme a disparu, alors qu’il y a encore quelques années c’était pêcher que de faire du tourisme, et donc du commerce, dans les monuments patrimoniaux. L’obstacle est maintenant dépassé et la raréfaction des fonds publics amènent ces acteurs publics et culturels à réaliser que c’est par la variété des usages et les ressources que l’on peut en tirer qu’il est possible de conserver le patrimoine. Sans parler du fait que ces nouvelles activités dans ces lieux remarquables, attirent des clientèles qui ne les auraient pas fréquentés autrement. Ces nouvelles activités participent donc à la mission de diffusion de la culture et de la connaissance Après, le dialogue entre le public et le privé reste encore à assouplir.
Il y a par ailleurs d’autres raisons qui militent pour la préservation de ces sites et monuments, comme le mouvement en faveur de la sobriété foncière visant à préserver les espaces vierges et valoriser l’existant sous toutes ses formes (bâtiments industriels, casernes, hôpitaux…). C’est un mouvement de fond qui s’engage et il faut réfléchir à comment le faire mieux et plus vite pour mieux correspondre au rythme des entreprises du tourisme, souvent des PME, qui ne peuvent attendre des années pour que les choses se fassent.
Oui, il y a moins de réticences à l’égard du business, plus de pragmatismes en matière économique. Cela étant, le public est régi par des règles, le code des marchés publics, auquel il ne peut pas déroger. En revanche, un meilleur partage des bonnes pratiques faciliterait le traitement du code des marchés publics, pour organiser la mise à disposition des lieux. Cela peut être fait de manière très procédurale et longue sans pratique opérationnelle répétée, en lisant le code des marchés du premier article au dernier, ou très différemment avec une lecture plus opérationnelle liée à l’expérience sans pour autant transgresser les règles. La loi permet d’organiser la mise à disposition de lieux par des baux emphytéotiques, selon des procédures de publicité extrêmement légères.
Ce sur quoi on bloque à La Chartreuse de Neuville, c’est le montage engagé initialement pour le financement des travaux de la partie privée, en copropriété, qui était une fausse bonne idée. C’est déjà difficile de se lancer sur la création d’activité sur un territoire qui n’a pas encore une notoriété touristique très forte, mais si pour l’opérateur exploitant s’ajoute aux aléas classiques la difficulté de traiter non pas avec un seul propriétaire professionnel, mais avec plusieurs propriétaires sans motivation pour le lieu et l’activité, cela n’a rien d’encourageant, même si le lieu a du potentiel et peut avoir de la résonance. C’est cette structuration en copropriété qui complique aujourd’hui l’émergence d’un modèle. Le lieu serait libéré de cette contrainte majeure, nous aurions déjà probablement lancé une des activités, en complément de celle que l’association porte.
Ce sont des visions différentes qui se retrouvent par notre intermédiaire autour d’une ambition complémentaire de développement économique. Le patrimoine, en ayant réuni ses deux grands sponsors, culture et développement territorial, exprime parfaitement son pouvoir de servir à la fois les causes de la culture et du développement. L’enjeu était d’organiser le dialogue entre ces lieux et les forces vives économiques du territoire afin que se dessine en bonne concertation locale une stratégie parfaitement partagée favorisant la rencontre avec des opérateurs exploitants en capacité de développer dans les sites une activité viable et pérenne à son profit mais aussi celui du patrimoine et du territoire.
Nous imaginions bien que ce site emblématique pouvait avoir un rôle de locomotive pour ce territoire. En tout cas, il pouvait servir la cause du développement économique et comme nous avions traité des sujets un peu identiques, notamment à Sedan avec le Château Fort, une propriété de la Ville, nous avions vu comment une activité économique développée en son sein avait permis de redonner de l’éclat à la destination. Le maire qui a participé à cette restructuration me disait que, 20 ans après, ses effets sur le territoire sont toujours présents : l’hôtel dans ce Château Fort a créé un flux, une visibilité supplémentaire pour la ville de Sedan et un rayonnement malgré le poids de son histoire, ce qui a même conduit la municipalité à engager des travaux d’urbanisme afin de repenser la centralité de la ville au regard de la place prise par le Château désormais plus vivant. Tout cela pour dire que nous avons conscience que les lieux comme La Chartreuse de Neuville peuvent irradier durablement les territoires dès lors qu’ils sont animés par une activité économique auto portée puisque les fonds publics pour le patrimoine ne sont pas suffisants pour assurer leur préservation.
On sait, et on l’a vu dans d’autres lieux, que la copropriété est à bannir. Il faut éviter que ces lieux deviennent des prétextes à des montages financiers, sans recherche d’une activité économique cohérente avec la destination, viable et pérenne. Je suis en revanche très sensible au volet que porte l’association : le projet développé est l’expression contemporaine de l’histoire du lieu et donc il participe à l’attractivité de la destination et participera à l’attractivité de l’activité économique qui sera développée sur la partie privée voisine, forcément en résonance avec le lieu. L’activité économique à créer sur les espaces voisins de ceux occupés et gérés par l’association, se nourrira de l’identité et de l’image du lieu développée par l’association et le lieu donnera de la visibilité à l’activité économique à créer. De même que le patrimoine sert aujourd’hui les activités de l’association, ces activités devront fonctionner en dialogue avec la future activité économique. Il y a trois pieds dans le projet : le patrimoine, l’activité économique future et les activités de l’association. Je n’imagine pas que cela puisse fonctionner autrement que sur cette complémentarité. Il faut jouer sur différents pieds pour faire face aux aléas, à la saisonnalité, au relatif isolement par rapport à une grande ville en capacité d’apporter sa notoriété et déborder sur le site par son activité multiple. C’est donc un équilibre vertueux et assumé à trouver entre l’intérêt général, une activité privée ou associative lucrative qui dégage ses ressources de recettes et des activités associatives qui peuvent avoir des ressources qui ne sont pas apportées par les usagers. Cela peut-être des subventions, des mécénats et autres… Ce sont des modèles qui ne s’opposent pas et servent des causes complémentaires, au service du développement et du rayonnement de la Chartreuse de Neuville.
Propos recueillis par Nathalie Cuvelier